La quête du poids idéal est une recherche aussi classique qu’incessante chez le coureur à pied. On a tous ces 2 ou 3 kilos qu’on voudrait perdre en se disant qu’on serait plus performant en s’allégeant un peu. Et si le poids de forme était tout autre que le poids qu’on juge idéal ? La question est d’autant plus cruciale en cette période de confinement où il est impossible de faire des sorties longues et où le refuge réconfortant est souvent… la cuisine !
On les croise dans les parcs urbains. Ces drôles de coureurs à pied engoncés dans des vestes de pluie, capuche relevée sur la tête alors que le soleil rayonne et que la chaleur nous a poussé, nous, à sortir le short et le débardeur. On a un peu pitié d’eux, même si on sait qu’ils pratiquent la sudation intense de manière tout-à-fait volontaire. Parce qu’ils veulent atteindre LE poids requis. Ce ne sont généralement pas de « vrais » coureurs à pied, mais des compétiteurs en sports de combat où le poids fait entrer – ou sortir – d’une catégorie. Ceci dit, cette pitié, on aurait franchement intérêt à la ravaler illico presto ! En running, nombreux sont ceux qui cherchent à atteindre un poids idéalisé qu’ils imaginent être leur « poids de forme. » Alors ils déploient des trésors d’ingéniosité pour éliminer les quelques kilos jugés superflus. Mais qu’est-ce que le poids de forme ? Est-ce la même chose que le poids cherché par le boxeur en K-way ?
Un poids très personnel
Le poids de forme se distingue de ce qui est couramment appelé le poids idéal. Ce dernier est généralement calculé à l’aide de l’indice de masse corporelle (IMC) qui correspond à une échelle de corpulence. Il est fréquemment utilisé par les compagnies d’assurance pour estimer les risques liés au surpoids et, aux États-Unis, les primes peuvent même varier selon l’IMC de l’assuré ! La formule bien connue IMC = poids en kg / (taille en mètre)2 donne un chiffre qui indique si l’individu est en état de maigreur (IMC < 18,5), de surcharge pondérale (25 < IMC < 30) , d’obésité (IMC > 30) ou dans la norme « idéale » (18,5 < IMC < 25). Si l’IMC permet d’avoir une vision globale de la corpulence individuelle, il s’avère très imparfait en ce qu’il ne tient absolument pas compte de la composition corporelle. Une personne qui mesure 1,65 m et pèse 55 kg a un IMC parfait, mais peut tout-à-fait manquer cruellement de masse musculaire et afficher un taux de masse grasse trop élevé. Or, en sport, il n’y a pas que le poids qui s’affiche sur la balance qui compte : la masse musculaire s’avère cruciale dès lors que l’objectif est la recherche de performance.
Le poids de forme du sportif correspond donc moins à un indice qu’à un ensemble de sensations positives : c’est le poids auquel l’athlète se sent bien, physiquement et psychologiquement, et qui lui permet d’exprimer pleinement son potentiel. « Le poids de forme est souvent différent du poids standard théorique », confirme Nicolas Aubineau, nutritionniste. « Il est le poids optimal permettant de subir la charge d’entraînement que l’on s’impose, le poids permettant d’atteindre un équilibre à la fois physique, musculaire, ostéo-articulaire, hormonal, organique, mental, social et professionnel. » Loin d’être cadré par des normes standardisées, il se révèle donc très subjectif et fluctuant dans le temps. « Le poids de forme que l’on avait à 20 ans n’est pas forcément le même qu’à 40 ans : d’un âge à l’autre, l’individu évolue, sa pratique sportive aussi – et donc son poids de forme aussi », ajoute Nicolas Aubineau. « Il est essentiel de comprendre que le poids de forme n’est pas figé et dépend de très nombreux paramètres. »
Les chiffres tels que l’indice de masse corporelle ou l’indice de masse grasse (IMG) peuvent titiller la motivation de ceux qui souhaitent perdre du poids, mais ils n’ont pas d’intérêt absolu. « Malheureusement, nous sommes globalement conditionnés pour dépendre d’éléments extérieurs à nous-mêmes. Les chiffres sécurisent, mais ils n’apportent pas de bénéfices à moyen et long termes. Ils peuvent même parfois conduire à des troubles du comportement alimentaire », estime Nicolas Aubineau. « Il faut absolument être à l’écoute de soi et prendre du recul par rapport à l’IMC ou l’IMG. » De même, un outil tel que l’impédancemètre donne une orientation et des informations assez fiables à condition d’être utilisé pour un suivi longitudinal (reproduction des mêmes conditions de mesure sur une balance identique). Cependant il ne tient pas compte de la pluralité des paramètres entrant en compte dans la détermination du poids de forme. En réalité, il n’existe pas d’indicateur capable de donner au sportif le poids idéal qui lui permettra d’être à la fois performant dans son activité physique et en bonne santé physiologique et psychologique.
« Il faut absolument être à l’écoute de soi et prendre du recul par rapport à l’IMC ou l’IMG. » (Nicolas Aubineau, nutritionniste)
Un poids complexe à déterminer
Mais alors comment savoir si l’on a atteint ou non le fameux poids de forme ? La réponse est loin d’être une évidence. Elle est même carrément compliquée ! « Le coureur doit multiplier les sources d’information pour savoir s’il a atteint ce poids de forme qui se définit par un état de bien-être général : c’est en réalisant un bilan biologique, en consultant un préparateur mental, un ostéopathe, un médecin du sport ou encore un diététicien nutritionniste, mais aussi en étant à l’écoute de ses sensations qu’il pourra affirmer – ou non – que tous les voyants sont au vert », précise Nicolas Aubineau. Il convient ainsi de s’attacher à des signaux quotidiens (qualité du sommeil, irritabilité, fatigue, relations sociales, problèmes de santé…) et aux sensations éprouvées à l’entraînement pour savoir si le poids procure un bien-être dans tous les domaines. « Beaucoup de sportifs se soucient aussi de l’esthétique. Par exemple, avoir les abdominaux saillants est jugé positif parce que cela signifie qu’on a peu de masse grasse », explique Nicolas Aubineau. « Pourtant l’esthétique n’est pas un gage de qualité des paramètres biologiques. Or ce sont eux qui doivent primer car ils sont un gage de santé à long terme. »
On est donc loin des images idéalisées d’athlètes hyper-secs après lesquelles courent bon nombre de runners. Si une masse grasse au ras des pâquerettes séduit les sportifs pour diverses raisons (esthétisme, performance, sensation de légèreté), elle doit aussi être considérée avec méfiance. A moyen et long termes, un IMG bas peut engendrer une fragilité immunitaire (donc une sensibilité accrue aux infections), des carences (donc un risque accru de blessures et de problèmes de santé) et, en particulier chez la femme, des troubles hormonaux (aménorrhées avec risque accru d’ostéoporose). Lorsque l’athlète entre dans le cercle vicieux de la perte de poids, considérée comme la quête du poids de forme, il est fréquent qu’il se coupe totalement de son ressenti réel pour basculer dans le seul contrôle de tous les paramètres externes (alimentation, entraînement, etc.) et devenir à la fois bigorexique et orthorexique. Il paraît donc fondamental que le coureur, quel que soit son niveau, s’entoure d’un « staff » de personnes référentes capables de l’alerter dès que l’un des voyants passe à l’orange ou au rouge. Avoir un IMC de 17 peut être jouissif : dans les disciplines d’endurance comme le running, plus on est léger, plus on se sent rapide et performant, plus on peut battre ses records personnels. On peut ainsi estimer qu’on est à son poids de forme puisqu’on court plus vite. Néanmoins tous les autres paramètres sont-ils positifs ? Même s’il existe toujours des exceptions, il est fort à parier que la réponse est non.
« Le poids de forme ne peut être calculé avec une formule universelle, pas plus qu’il ne peut être défini de manière générique. Il est personnel, complexe et seules la sagesse et l’expérience acquises au fil des ans permet de savoir quand il est atteint », conclut Nicolas Aubineau. On en revient finalement toujours à la même alternative, celle qui préside aussi la pratique sportive elle-même en matière d’intensité, de repos et de distance : souhaite-t-on courir vite et intensivement pendant quelques années ou courir en bonne santé jusqu’à l’âge le plus avancé possible ?
La chasse à la masse grasse
Le bourrelet qui traîne, la cuisse qui s’épaissit, le muscle qui n’est pas assez saillant. Dans les sports d’endurance, la quête de la minceur constitue une espèce de fixette et l’indice de masse grasse fait l’objet de toutes les attentions. L’IMG est pourtant loin d’être une mesure totalement pertinente.
- L’IMG tient compte de la proportion de muscles et de graisses dans le corps alors que l’indice de masse corporelle (IMC) ne considère que la corpulence sans se préoccuper de la composition corporelle. On peut donc avoir un IMC bas sans pour autant être musclé. L’IMG est donc plus intéressant que l’IMC pour le sportif.
- L’IMG peut être mesuré à l’aide d’une batterie de méthodes : balances à impédance, mesures d’épaisseur de la peau avec une pince, « bod pod » (ou pléthysmographie, c’est-à-dire une mesure par déplacement d’air dans un espace scellé) ou encore simple prise des mensurations. Bien qu’elles soient nombreuses, aucune de ces méthodes ne semble réellement plus fiable que les autres. A la limite, c’est la bonne vieille méthode de prise des mensurations qui paraît la plus pertinente, bien qu’elle soit indéniablement imprécise quant au taux de masse grasse dans le corps.
- La chasse à la masse grasse chez le sportif d’endurance est fortement ancrée dans les mentalités. Pourtant le gras a du bon ! Il permet d’équilibrer les hormones, de booster le métabolisme, d’assurer le bon fonctionnement du système immunitaire ou encore de maintenir la vitalité au beau fixe. Autrement dit et contrairement aux idées reçues, une masse grasse suffisante fait partie intégrante du poids de forme. Sans gras, la santé n’est pas !
Article initialement paru dans Jogging International et réalisé avec les apports de Nicolas Aubineau, diététicien-nutritionniste, www.nicolas-aubineau.com, auteur de Runningfood (2016, Mango), Marathonfood (2017, Mango), Trail coaching nutrition (2017, Mango) et Recettes du sportif (2018, Mango).
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