Depuis quelques années, on le voit partout : le minimalisme, qui prône le retour à une foulée dite naturelle grâce au port de chaussures souples et fines, est devenu une véritable mode. A moins qu’il ne s’agisse d’une lame de fond, synonyme de changement non seulement chez les équipementiers, mais aussi chez les pratiquants. 

Hé non, le XXIe siècle n’a rien inventé ! Ce ne sont pas les experts actuels qui ont accouché du minimalisme, lequel était déjà pratiqué par quelques champions, tels Herb Elliot et Abebe Bikila, dans les années 1960. La communauté mexicaine des Tarahumaras, mise en lumière par le livre à succès Born to run de Christopher McDougall, n’a pas attendu non plus les biomécaniciens modernes pour se déplacer en huaraches, sandales héritées de l’époque pré-colombienne, tout comme de nombreux peuples sud-américains ou africains qui ont longtemps couru (voire courent encore) pieds nus en pleine nature. Le courant minimaliste est néanmoins apparu en Amérique du Nord au début du XXIe siècle avant d’essaimer en Europe avec un discours assez simple : courir avec un minimum de protection aux pieds permet de renouer avec une foulée dite naturelle.

Les spécialistes en biomécanique se sont penchés attentivement sur le sujet et ont mis en évidence un constat : lorsqu’on court pieds nus, l’attaque ne se fait plus par le talon, mais par l’avant du pied ; a contrario, plus la chaussure est protectrice (amorti important, rigidité, etc.), plus on a tendance à attaquer par le talon. Or une attaque avant ou médio-pied modère considérablement les impacts au sol – ce qui réduirait le risque de blessure. Cerise sur le gâteau mitonnée par les chantres du minimalisme (parmi lesquels se distingue la célèbre Clinique du Coureur fondée par le Québécois Blaise Dubois) : avec une foulée avant ou médio-pied, les performances seraient améliorées.

 

L’indice minimaliste, un outil pédagogique

Réduction des blessures et amélioration des performances : que demande de plus tout coureur qui se respecte ? Ces deux arguments sont sans aucun doute à l’origine du succès du minimalisme, tout comme l’est la mode du retour aux sources dans tous les domaines. On constate d’ailleurs une tendance générale des marques de chaussures à s’orienter vers moins de drop (différence de hauteur entre l’arrière et l’avant de la chaussure), l’un des paramètres pris en compte par les partisans de la foulée naturelle. Même la marque maximaliste Hoka One One a lancé cette saison un modèle minimaliste avec son Evo Jawz qui n’a rien à envier aux chaussures les plus souples, plates et légères du marché.

Les paramètres définissant le minimalisme ont d’ailleurs été compilé par 42 experts internationaux, coordonnés par la Clinique du Coureur, afin de mettre au point ce qu’ils ont nommé « l’indice minimaliste ». Clairement orienté vers le minimalisme – ne serait-ce que par son nom –, cet indice est défini grâce à plusieurs critères :

  • la flexibilité longitudinale (capacité de la chaussure à être pliée dans l’axe avant/arrière) et en torsion ;
  • le poids ;
  • l’épaisseur de la semelle ;
  • les technologies de stabilité (contrôle de la pronation, maintien du pied, etc.) ;
  • le drop.

Chaque modèle de chaussure peut donc être évalué et noté sur 100, la note maximale correspondant au stade ultime du minimalisme.

L’outil se révèle particulièrement intéressant parce qu’il est pédagogique : en ayant en tête ces cinq critères, vous pouvez évaluer vous-mêmes une chaussure en l’examinant dans un magasin. Néanmoins on peut regretter le manque de rigueur dans la mesure des différents critères : hors d’un laboratoire en bonne et due forme, ils sont souvent déterminés par une mesure manuelle, donc forcément soumis à des variations délétères.

 

Personnalisation et progressivité

La mode du minimalisme – et les arguments avancés par ses partisans – peuvent inciter à changer de chaussures et de foulée. Puisque les experts en vantent les mérites, pourquoi ne pas tenter l’aventure de l’attaque avant-pied ? Tout simplement parce que courir différemment n’est pas sans risques. Modifier ses appuis au sol, c’est modifier toutes les sollicitations biomécaniques induites par la course à pied et donc augmenter le risques de blessures puisque le corps n’est pas habitué à se mouvoir ainsi. « Le passage trop rapide vers une chaussure minimaliste provoque fréquemment des douleurs aux pieds, au tendon d’Achille et au mollet », indique Blaise Dubois, fondateur de la Clinique du Coureur. « Une transition trop rapide vers une chaussure plus maximaliste engendre des douleurs aux genoux, à la hanche ou au dos. Il faut donc compter plusieurs mois de transition lorsqu’on change de chaussures pour aller vers plus ou moins de minimalisme. » Hors de question, donc, de passer du jour au lendemain de votre bonne vieille paire de Hoka hyper amortie à une Salomon Sense flambant neuve. Plusieurs mois seront nécessaires à l’adaptation de votre organisme aux nouvelles sollicitations et au changement de foulée. Non, une révolution ne se fait pas en un jour… et une révolution n’est pas toujours nécessaire non plus !

 

 


Faut-il réapprendre à courir pour adopter une foulée avant ou médio-pied ?

La question est pour le moins épineuse. Les partisans du minimalisme répondent évidemment oui, tandis que les autres se montrent plus prudents. Des recherches ont, en effet, montré qu’aucune foulée n’est plus efficace ou plus protectrice contre les blessures. Par ailleurs, la densité des semelles des chaussures, que l’amorti soit dur ou mou, ne semble pas influencer le risque de blessures, tandis que les technologies (correction de la pronation, amorti, etc.) n’ont apparemment pas d’effet positif sur la prévention des blessures. En revanche, les coureurs qui ont l’habitude de courir avec des modèles minimalistes paraissent moins blessés que ceux qui utilisent des modèles traditionnels. Enfin, une transition trop rapide vers des modèles minimalistes augmente le risque de blessures aux pieds et aux mollets.

Conclusion : Si vous n’êtes pas blessée et/ou que vous ne souhaitez pas améliorer vos performances, ne changez rien ! En revanche, si vous souffrez fréquemment de blessures ou douleurs (hanches, genoux, dos…) et/ou que vous voulez améliorer vos performances, essayez de vous tourner progressivement vers une foulée avant ou médio-pied.  


Petite bibliographie

Cyrille GINDRE, Courir en harmonie, éditions Volodalen.

Jean-François HARVEY, Courir mieux, éditions Medicis.

Christopher McDOUGALL, Born to run, éditions Guérin.

Solarberg SEHEL, Courir léger – Light Feet Running,Thierry Souccar éditions.