Ce n’est pas parce qu’on est coureur à pied qu’on ne s’intéresse pas aux autres sports d’endurance. Je dirais même que c’est parce qu’on est coureur à pied qu’on lorgne vers les autres disciplines avec un intérêt décuplé ! Avec l’avènement de la pratique de l’entraînement croisé, qui a notamment introduit le vélo dans le quotidien du trailer, l’adepte du running ne peut rester indifférent à l’univers du cyclisme. Et quand on a été embarqué, enfant, sur les routes des grands cols à l’époque de Fignon, Lemond et Indurain, on ne peut que continuer à jeter un œil sur les forçats de la route. Bref, comme la plupart des sportifs, j’ai moi aussi observé la prestation de Romain Bardet l’été dernier. Alors quand j’ai eu l’opportunité de réaliser un reportage sur l’équipe AG2R La Mondiale, j’ai forcément bondi sur cette occasion en or de parler avec le staff et les coureurs de l’écurie française.
La semaine dernière, me voilà donc en plein brouillard, au cœur de la station de Vaujany où l’équipe devait vivre une semaine de stage après la traditionnelle coupure automnale. Les visages connus et moins connus défilaient dans le hall de la patinoire. Romain Bardet apparut brièvement, vite happé par un photographe, puis par un journaliste télé. Encore un peu de patience… Une entrevue avec un champion du Tour de France, ça se mérite ! Le temps passait sans que l’ombre du champion ne réapparut. Deux bonnes heures de poireautage intensif plus tard, l’interview tant attendue se profilait enfin. Aaaah, non, ce ne serait pas un entretien en tête-à-tête, mais plutôt une mini-conférence de presse puisque l’Auvergnat répondrait aux questions de cinq journalistes. Dommage…
Là, je ne vais pas vous cacher que j’ai un peu honte de mon erreur de débutante. Ayant une commande à honorer, donc une thématique bien précise à traiter, je n’ai pas allumé mon dictaphone dès le début de l’interview collective. Je suis bêtement restée là, à écouter mes confrères poser leurs questions et Romain Bardet y répondre consciencieusement. Ce n’est que lorsque j’ai enfin pu aborder le sujet qui concernait mon article que j’ai enclenché l’enregistrement. Ooooh, ça va, hein, n’en rajoutez pas, je regrette suffisamment ma boulette !!!
Pour vous le faire court (de toute façon je ne peux pas vous le faire long vu que je n’ai pas le verbatim sous la main), mes collègues interrogeaient Romain sur sa saison 2017. Le propos tournait surtout autour de l’enchaînement Giro / Tour de France que Romain envisage cette saison parce qu’il considère que cette configuration pourrait lui permettre de progresser et de franchir encore un cap pour les saisons suivantes. Lorsqu’un journaliste pointa le fait que le public l’attendrait sans doute aux avant-postes du Tour cette année et risquerait d’être déçu s’il arrivait émoussé après le Giro, Romain Bardet répondit qu’il ne courait pas pour satisfaire le public, mais pour construire sa carrière, pour optimiser ses performances non pas à court terme mais à moyen et long termes. Avec un calme impressionnant et une analyse étonnante pour un champion de son âge, le jeune Auvergnat expliquait à son petit auditoire sa vision de sa carrière, de son équipe, de l’univers du cyclisme ou encore de la performance.
C’est alors que je pus enfin glisser mes questions au sujet du stage qu’il allait vivre avec ses coéquipiers et à propos de l’hiver qui se profilait.
« Ce stage est important car il nous permet d’apprendre à tous nous connaître et ce dans un cadre étranger, c’est-à-dire que l’on n’est pas sur un vélo, concentré à faire des kilomètres comme c’est déjà le cas en décembre. Là, on est vraiment relâché. J’ai recommencé à faire du sport il y a 6 jours, d’autres sont en train de rattaquer, d’autres sont plus en avance, mais on met tous un peu ça de côté pendant une semaine et on se prête à des activités différentes. Ce sont des moments de convivialité qui sont plus rares en saison. On apprend à mieux se connaître et c’est important.
Je ne vois pas chaque saison comme une fin de cycle en elle-même. 2017 sera dans le prolongement de ce que j’ai fait en 2016. Il y aura probablement moins de choses précises à travailler, mais plus de choses à affiner, notamment ma préparation physique générale. Aujourd’hui c’est un plaisir de reprendre ma préparation physique alors qu’il y a un an pile, je partais de zéro ! Là, je sens que je pars avec des acquis, donc c’est très stimulant. Je vais donc pouvoir aller encore plus loin dans mon travail d’optimisation de la performance pour que ça se traduise en résultats, que ce soit de manière directe ou indirecte. Pour moi, c’est un épanouissement au quotidien et je m’applique dans ce que je fais.
Cet hiver, comme chaque année, je tiens à privilégier une activité multisport le plus longtemps possible. Je ne vais rattaquer vraiment le vélo qu’en décembre, ce qui signifie que je vais encore retarder un peu cette année la reprise car le cœur de la saison arrive tard. Je vais rattaquer ma saison plus tard cette année pour arriver en forme sur mes objectifs en temps et en heure. Je veux prendre le temps de bien me préparer. Je reprendrai le vélo début décembre mais je maintiendrai une activité multisport au moins jusqu’à Noël. Je fais du ski de fond, un peu de VTT, de la natation, du ski de rando, de la marche en montagne, de la course à pied, du trail. J’ai la chance d’avoir une certaine condition physique et de pouvoir varier les activités. Cela me permettra sans doute d’avoir un peu de fraîcheur quand le cœur de la saison sera là et notamment si je décide de faire l’enchaînement décisif Giro / Tour de France.

La reprise de la compétition ne se fera pas avant mi-février. J’aime courir sous la chaleur. J’irai peut-être courir en Espagne ou au Moyen Orient. Les épreuves restent à définir. Nous allons faire le point pendant le stage. La très bonne saison que je viens de faire doit me permettre d’aborder la suivante avec davantage de sérénité, c’est-à-dire en n’ayant pas forcément besoin d’aller se rassurer sur des courses fin janvier en France et de garder de l’énergie pour les rendez-vous importants. J’aime m’entraîner, j’aime être à la maison et m’entraîner, donc je garderai de la fraîcheur pour les échéances du printemps qui seront importantes pour l’équipe.
Quand les conditions météo sont hivernales, j’ai tendance à aller beaucoup sur la Côte d’Azur, mais je reste très attaché à ma région. Je veux toutefois bénéficier des meilleures conditions d’entraînement. Quand ce sera possible en Auvergne, je resterai à la maison, sinon j’irai sur la Côte. Il y a une dimension affective qui m’aide lorsque je suis en Auvergne, mais je ne ferai plus de sacrifices sur mon entraînement si les conditions sont mauvaises. J’ai cette chance et cette liberté grâce aux stages de l’équipe et cette résidence dans le Sud qui permettent d’être flexible et de m’entraîner de la meilleure des manières. Cette année, je ne ferai pas plus de stages en montagne, même si je ne les vis pas du tout comme une contrainte. Ces stages sont aussi des moments de vie, c’est aussi la façon dont je vois le sport, mais c’est vrai qu’on ne peut pas non plus s’isoler un mois. On peut difficilement faire davantage que ce que l’on a déjà fait avec l’équipe en 2016.
J’ai une vision un peu soft du rôle fédérateur que l’on m’attribue parfois dans l’équipe. Je ne suis pas le genre de personne qui va taper sur la table et crier plus fort que tout le monde pour me faire entendre. Mais par une manière de fonctionner, par un comportement, j’espère influer sur le groupe. On est trente coureurs et on est amené à être ensemble. Plus l’équipe est forte, plus nous serons tous tirés vers le haut. C’est important qu’on ait cette osmose-là, au-delà des irréductibles quatre ou cinq coureurs qui m’accompagnement toute l’année. Cela fait aussi partie de mon rôle d’aller vers les plus jeunes, surtout que j’ai manqué de ça quand j’étais néo-pro. A cette époque-là, j’aurais aimé avoir quelqu’un qui m’écoute, qui m’aide dans ma démarche de performance. C’est pour cela que cette mission me tient à cœur. Nicolas Roche m’avait un peu accompagné, mais ce n’était pas dans les mœurs de l’équipe d’accompagner les jeunes. C’est différent maintenant, l’équipe est totalement métamorphosée. Je parle de nouveau départ avec cette nouvelle équipe et l’expression est peut-être un peu forte, mais par rapport à 2012 il y a eu de réels changements dans les mentalités et la manière de fonctionner, même si l’encadrement perdure. Je m’y retrouve pleinement maintenant. »
Une ou deux questions supplémentaires plus tard, tous les dictaphones posés sur la table s’arrêtaient. L’entretien était déjà terminé. Romain Bardet nous sourit et s’éclipsa, toujours aussi serein. Franchement, on ne croirait pas que ce jeune homme mince comme un fil, discret et calme, est le même qui bataillait sur les routes du Tour l’été dernier. Mon seul regret est de n’avoir échangé avec ce champion que dans le cadre très formaté d’une conférence de presse où, forcément, le discours est très réfléchi, les mots sont choisis, le temps est compté. Finalement, après cette entrevue, émergeait une autre question : qui est vraiment Romain Bardet ?…
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