Les liens entre trail et course de montagne sont étroits. Pourtant l’un connaît un essor fulgurant tandis que l’autre est en perte de vitesse. Visiblement, la montagne, ça ne vous gagne pas forcément !
Indéniablement, il y eut collision. Avec plus de dégâts d’un côté que de l’autre. Le week-end des 28 et 29 mai, deux événements majeurs de course nature se sont déroulés sur le sol français : la MaXi Race d’une part, les championnats de France de course en montagne d’autre part. La collision calendaire a permis de mettre en lumière la rivalité qui oppose trail et course en montagne. Mais la rivalité est-elle réelle ? Et le jeu est-il équitable ?
Une couverture médiatique inégale
Bien en phase avec mon époque hyperconnectée, me voilà face à l’écran Google. Je commence par inscrire dans l’interface de recherche quelques mots clés : championnats France course montagne 2016. Je valide ma requête, puis consulte l’onglet Actualités. Là, trois résultats concernent les France du 29 mai dernier. Un article d’annonce et deux résumés. Face à la pauvreté des résultats, je reviens à l’onglet Tous. La matière est plus abondante, mais il faut fureter pour trouver des comptes rendus en bonne et due forme de ce rendez-vous national. A la grâce du référencement googléen, les sites spécialisés apparaissent à partir de la troisième page.
Bon, tentons maintenant de chercher ce qui concerne la MaXi Race. Même opération avec les mots clés maxi race 2016. Côté Actualités, je dénombre sept articles. Dans le grand creuset Tous, on trouve pêle-mêle des pages pour les résultats, les photos et des comptes rendus sur de nombreux sites spécialisés, outre les blogs et sites de clubs.
Si l’on revient au jour J, force est de constater que les suivis en live concernaient essentiellement la MaXi Race. Pour savoir qui montait sur le podium des France de montagne, il m’a fallu une bonne dose de patience et attendre que la FFA mette en ligne des résultats provisoires. Pourquoi la course en montagne semble-t-elle reléguée au second plan, elle qui est pourtant à la sœur aînée, voire la mère, du trail ?
Une histoire d’argent…
L’un des arguments les plus « faciles » à avancer concerne l’argent. Saisissant la balle « trail » au bond, les marques se sont engagées avec force moyens afin de profiter de l’engouement populaire pour la discipline. L’augmentation incessante du nombre de pratiquants a permis (et permet encore) aux équipementiers et aux nouvelles marques de s’arroger des parts de marché, à la grâce de campagnes marketing, de nouveaux produits et de créations de teams. Or, dans toute entreprise, qui dit investissement, dit forcément retour sur investissement. Pour gagner de nouveaux clients, il faut notamment accroître sa visibilité, par exemple en multipliant les publicités et le sponsoring.
Dans un contexte de crise économique et de marché médiatique concurrentiel, les enjeux commerciaux ne peuvent être ignorés par les rédactions. Lorsqu’une marque vous achète une double page de pub – et vous permet ainsi de boucler votre budget mensuel et de ne pas mettre tout de suite la clé sous la porte – vous êtes naturellement enclin à accroître le nombre d’articles évoquant cette même marque pour que l’annonceur continue à vous acheter de l’espace commercial. Le lecteur voit donc à la fois la pub et les papiers, ce qui le conditionne pour acheter les produits en question. On se rend bien compte que tout cela est étroitement lié : investissements des marques dans le trail, couverture médiatique du trail et survalorisation du trail par rapport à la course en montagne sont autant d’éléments interdépendants qui composent un véritable système.
… ou une histoire de gens ?
Mais ne jetons pas l’opprobre sur les médias et les marques. Ces facteurs doivent être pris en considération mais ils ne doivent pas occulter une autre facette de la question : les pratiquants eux-mêmes. Si l’attention médiatique se porte prioritairement sur le trail et non sur la course en montagne, n’est-ce pas aussi lié au nombre de pratiquants ? Incontestablement, le trail rassemble aujourd’hui bien plus de monde que son aînée. D’ailleurs, combien d’épreuves courtes se transforment-elles en trails pour survivre et attirer davantage de concurrents ?
Le trail et en particulier l’ultra séduisent parce qu’ils sont synonymes non seulement d’évasion et d’un retour à la nature, mais aussi d’héroïsme et de reconnaissance sociale. Être finisher d’une épreuve de plus de 100 km, quel que soit le temps passé sur les sentiers, est plus valorisant aujourd’hui que terminer une course en montagne de 15 km. Pour gagner l’estime de son entourage, mais aussi pour se prouver à soi-même que l’on existe et que l’on est capable des performances les plus folles, il faut avaler toujours plus de dénivelés, toujours plus de kilomètres. On atteint sans doute plus aisément un sentiment de plaisir lorsqu’on accomplit un effort de très longue haleine où marcher fait partie de la stratégie, effort en lui-même valorisant puisque considéré comme héroïque (et ce même si l’on flirte avec les barrières horaires et le fond du peloton). A contrario, boucler une course de montagne, par définition courte, est considéré comme « facile » puisque la distance reste « humaine ».
Prendre conscience des convergences
La supériorité médiatique et populaire du trail sur la course en montagne relève donc d’une pluralité de facteurs imbriqués. Elle témoigne malheureusement d’une certaine désaffection pour la seconde alors que c’est elle-même qui a engendré (ou tout au moins largement inspiré) la première. Ne considérons pas la « vieille » course en montagne comme désuète, issue d’une autre époque où l’on se lançait sur les chemins quasiment sans équipement en jouant à qui arriverait le premier au sommet. Ne prenons surtout pas les coureurs en montagne pour des trailers de bas étage et reconnaissons leur incroyable valeur athlétique, eux qui sont capables de courir à toute vitesse même sur les pentes les plus raides, d’enchaîner montées et descentes sans sourciller, d’avaler le dénivelé négatif comme des chamois et de relancer sur le plat à des allures que certains routards ne tiendraient pas.
N’opposons pas trail et course en montagne, ne les comparons même pas ! Ce sont deux disciplines distinctes qui partagent certes le même terrain de jeu et le même principe fondateur (courir en nature avec du dénivelé), mais qui font appel à des ressources physiques et mentales différentes. L’une n’est pas plus difficile ou plus héroïque que l’autre. Tout comme aucune rivalité n’oppose les épreuves de 200 m et celles de 3000 m, le trail et la course en montagne doivent coexister comme deux sœurs. Même si, comme dans toute fratrie, il y a forcément des tensions de temps en temps, elles avancent main dans la main parce qu’elles appartiennent à la même famille.
Chronique publiée dans Esprit Trail cet été.
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