Il y a un an, j’avais le privilège de suivre (à bord d’une voiture, est-il utile de le préciser ?) une journée d’entraînement de l’équipe AG2R La Mondiale afin de rédiger un article pour le magazine Le Cycle sur le thème de l’intérêt sportif de l’altitude. Un peu nostalgique de cette belle journée passée aux côtés de grands champions, je vous propose de retrouver ici ce papier qui date donc d’un an. Mais le fond reste valable, bien évidemment, et plutôt intéressant pour le trail et la course en montagne.
Entraînement en altitude : les pros à la montagne
Le décompte a commencé. Le Tour de France se profile et, avec lui, ses étapes de montagne : lacets de Montvernier, cols du Galibier, du Lautaret, du Glandon… Pour affronter les ascensions et les passages en altitude, les équipes professionnelles multiplient les séjours en hauteur, à l’image du team AG2R La Mondiale.
Un petit parking anonyme à Saint-Michel-de-Maurienne. Un ciel gris et une température à ne pas mettre un sportif dehors. Pourtant, malgré la fraîcheur inhabituelle en ce mois de mai 2015, les coureurs de l’équipe AG2R La Mondiale s’apprêtent à partir sur les routes de Maurienne, visiblement insensibles à la froide humidité ambiante. « C’est toujours le problème d’un stage de printemps dans les Alpes : la météo est aléatoire et les cols ouvrent tardivement », constate l’entraîneur Jean-Baptiste Quiclet en tendant une veste à l’un des athlètes. Tout au long des quatre prochaines heures, Julien Jurdie, directeur sportif, et Jean-Baptiste Quiclet devront adapter l’itinéraire aux caprices du ciel et aux fermetures de route. Après sept jours de stage avec un camp de base au Lautaret (Hautes-Alpes, 2 058 m d’altitude), les coureurs réalisent aujourd’hui leur première séance anaérobie intensive. Au menu, trois sollicitations successives de 15, 10 et 5 minutes en montée à des puissances variant entre 360 et 380 watts. « Nous avons divisé le stage en deux parties distinctes : lors de la première phase, nous avons travaillé les fondamentaux et le foncier car les athlètes revenaient d’une pause de quelques jours après la première partie de la saison et ils devaient s’adapter à l’altitude ; nous entrons aujourd’hui dans la deuxième phase qui sera constituée de séances difficiles pendant les sept prochains jours », explique Jean-Baptiste Quiclet.
L’altitude, une alliée en phase de préparation
L’altitude. Un paramètre essentiel pour préparer au mieux la saison estivale et plus particulièrement le Tour de France. Si une partie du collectif a déjà suivi cette saison un stage en Sierra Nevada (Espagne), plusieurs athlètes n’ont guère l’habitude de sillonner les routes de montagne. Il est donc nécessaire de rassembler la troupe dans les Alpes à un mois et demi du Tour afin de bénéficier des effets physiologiques des hauteurs. « Nous avons choisi de profiter des bienfaits de l’altitude non pas en vue d’évolutions hématologiques, mais en guise d’aide pour atteindre un bon état de forme », précise Jean-Baptiste Quiclet. Pour espérer modifier la formulation sanguine, il faudrait rester a minima trois semaines à plus de 2 000 m, une configuration complexe à mettre en œuvre compte tenu du calendrier chargé des coureurs.
En optant pour une durée de quinze jours, le choix sportif du staff AG2R La Mondiale met l’accent sur d’autres implications liées à l’altitude. « Nous avons voulu introduire un stress physiologique à l’entraînement. Le gain est intéressant lorsque nous réalisons des séances d’intensité en altitude. Ainsi, lorsque nous ferons des séances à haute intensité en plaine au mois de juin, lors de la phase finale de préparation au Tour, l’organisme des athlètes aura de très bonnes réactions », explique Jean-Baptiste Quiclet. Pourquoi l’altitude permet-elle d’optimiser les performances ? En milieu montagnard, l’organisme subit un stress car il doit s’adapter à la raréfaction de l’oxygène. Les mitochondries, contenues dans les cellules et permettant la respiration cellulaire et la mise en réserve de l’énergie, développent alors des enzymes qui engendrent un meilleur rendement musculaire. Réaliser des séances d’intensité en situation d’hypoxie permet dès lors d’accroître les performances. « L’altitude permet de créer un choc et de forcer l’organisme à s’adapter. Des études ont même montré qu’un stage de trois semaines a des effets positifs pendant plusieurs mois, pour peu que l’on fasse quelques rappels d’une semaine en altitude au cours de la saison », précise le coureur Guillaume Bonnafond, adepte des séjours en montagne.
Au-delà des gains directement liés à l’altitude, ce type de stage présente un indéniable intérêt technique. D’un point de vue biomécanique, rouler en montée modifie sensiblement la position sur le vélo et la manière de pédaler. L’angle d’attaque du pied sur la pédale est différent sur une ascension, ce qui influe sur la sollicitation des chaînes musculaires, notamment des quadriceps, des ischio-jambiers, des fessiers et des dorsaux. « Les stages en montagne sont d’autant plus pertinents pour les coureurs qui ne disposent pas de relief chez eux et qui roulent sans dénivelée tout au long de l’année », affirme Jean-Baptiste Quiclet. « Pour renforcer les muscles, des séances de gainage sont programmées au cours du stage, ainsi que du travail d’endurance de force en côte avec alternance de cadences. » Hier, les coureurs ont ainsi avalé une séance d’explosivité à 2 000 m d’altitude, près du col du Lautaret, afin de simuler des attaques violentes en montée. « Nous travaillons beaucoup sur les allures rencontrées en course et veillons à solliciter les différentes filières énergétiques », poursuit Jean-Baptiste Quiclet. Pendant la première semaine du séjour, les sorties en endurance à faible intensité et avec des apports réduits en sucres ont été privilégiées afin de faire fonctionner la filière lipidique. La deuxième phase du stage vise plutôt à solliciter les réserves de glycogène grâce à des intervalles longs et à stimuler la pompe cardiaque et la force musculaire grâce à des intervalles courts.
Soucieux d’optimiser la préparation des coureurs, le staff a particulièrement soigné cette année la dimension nutritionnelle en soumettant les hôteliers-restaurateurs à un cahier des charges précis. « L’alimentation était notre priorité. A l’Hôtel des Glaciers, au Lautaret, le chef nous a proposé une cuisine quasi-gastronomique très respectueuse de nos exigences. Certains coureurs suppriment le lait et le gluten, d’autres préfèrent consommer des produits laitiers. Nous laissons chacun libre de son choix. Mais, dans tous les cas, nous veillons surtout aux apports en acides gras essentiels et à la qualité des protéines », poursuit l’entraîneur. Le contenu de l’assiette revêt une grande importance en altitude car l’organisme stressé consomme davantage d’énergie et doit être davantage hydraté. En ce sens, l’altitude permet aussi de s’affûter sans se restreindre sur le plan alimentaire et ainsi d’atteindre un rapport poids/puissance idéal.
Reconnaître… et se connaître
Les heures défilent. Après avoir réalisé la première sollicitation de 15 minutes sur les premiers kilomètres du col du Glandon, le petit groupe se dirige vers les lacets de Montvernier avant de terminer la sortie par l’ascension de La Toussuire. Autant de sites où les conduira l’itinéraire du Tour dans six semaines. Pour se familiariser avec le parcours de l’épreuve, les entraînements tiennent aussi lieu de reconnaissances. « Il est important pour la confiance de savoir où l’on pose les roues car on se sent plus libéré lorsqu’on évolue en terrain connu », estime Romain Bardet, sixième du dernier Tour et coutumier des préparations en altitude. Une impression confirmée par l’entraîneur et le directeur sportif qui soulignent la pertinence des reconnaissances à la fois en termes de stratégie de course et de gestion de l’effort. « Les athlètes, tout comme les directeurs sportifs, peuvent ainsi mémoriser des flashs : ces instantanés du parcours serviront ensuite de repères pendant la course », indique Julien Jurdie.
Un à un, les coureurs arrivent à l’hôtel des Soldanelles à La Toussuire, terminus de la journée. Un grésil plutôt désagréable s’est mis à tomber sur la station où règne un calme olympien. « Non seulement le cadre de vie est bien plus sympa en haut qu’en plaine, mais il permet aussi de souder réellement le groupe en le plaçant à l’isolement, dans la quiétude, loin du vacarme de la ville et des hôtels traditionnels », estime Romain Bardet. Une grande majorité des coureurs qui seront au départ du Tour de France sont présents et, comme l’analyse Vincent Lavenu, manager général, « c’est bien qu’ils puissent pédaler ensemble sans stress et développer les relations entre eux. Lorsqu’ils arrivent sur un gros objectif, ils se connaissent bien et ils ont été habitués à vivre ensemble. La cohésion du groupe est notre point fort. »
Le mot de Romain Bardet
« Je fais plusieurs stages en altitude au cours de l’année, ce qui me permet de m’adapter plus vite aux conditions montagnardes. Je ressens néanmoins des symptômes tels qu’une moins bonne récupération, un sommeil perturbé, un appétit plus important ou une déshydratation plus rapide. Pour tirer un maximum de bénéfices de ces expositions à l’altitude, il faut être très encadré. Nous avons la chance d’avoir un excellent réseau d’experts au sein de l’équipe. »
L’entraînement de l’équipe AG2R La Mondiale en stage d’altitude
- 1ère phase : 8 jours – de 24h à 25h30 de selle (soit 650-690 km)
Objectifs : acclimatation + endurance
Jour 1 : voyage + 1h30 en récupération
Jour 2 : 3h
Jour 3 : 2h30 avec travail d’explosivité
Jour 4 : 4h avec endurance de base et travail de force (vélo contre-la-montre)
Jour 5 : 4h30 avec endurance de base et travail de relances en hypoxie
Jour 6 : journée off : repos ou 1h30
Jour 7 : 3h en endurance de base + 1h30 avec travail spécifique
Jour 8 : 3h avec endurance de base et travail de force + 1h travail spécifique (contre-la-montre par équipe)
- 2ème phase : 7 jours – de 26h30 à 28h de selle (soit 715-755 km)
Objectif : allures courses
Jour 9 : 4h avec travail spécifique – reconnaissance étape 18 du Tour de France (Gap – St Jean de Maurienne avec les lacets de Montvernier)
Jour 10 : 5h en endurance de base – reconnaissance étape 19 du Tour de France (St Jean de Maurienne – La Toussuire) + 1h travail spécifique
Jour 11 : journée off : repos ou 1h30
Jour 12 : 4h avec travail spécifique en Puissance Maximale Aérobie (PMA)
Jour 13 : matin : 2h avec travail spécifique lactique / après-midi : 2h avec travail spécifique contre-la-montre par équipe
Jour 14 : 6h30 en endurance critique – reconnaissance étape 20 du Tour de France (Modane – Alpe d’Huez)
Jour 15 : 2h avec travail de tempo + voyage
Votre commentaire