Nous avons tous en tête l’image des bouddhistes ou des yogis assis dans la position du lotus pendant une éternité, une expression de « zénitude » absolue sur le visage. Détrompez-vous, la méditation n’est pas seulement une pratique statique. On peut aussi méditer en courant et, plus surprenant, en tirer de sacrés bénéfices : plaisir décuplé, blessures plus rares et meilleures performances.
Commençons donc par balayer d’un revers de main un préjugé : la méditation, c’est forcément s’asseoir ou s’allonger et ne plus bouger. Contrairement aux idées reçues, on peut aussi méditer en mouvement. Bon, vous vous doutez que le mouvement qui nous intéresse ici n’est ni une arabesque de taï-chi ni une simple déambulation. Ce que nous cherchons à analyser pour en connaître l’intérêt, c’est la méditation en courant.
Méditer ou l’art de se recentrer
Le mot « méditation », très galvaudé depuis quelques années, désigne la focalisation de l’attention sur un seul sujet ou sur soi-même. Placée au cœur de certaines pratiques telles que le bouddhisme et le yoga, la méditation vise à atteindre une paix intérieure et une certaine relaxation. « A priori on pourrait penser que méditation et course à pied sont opposées. L’une est plutôt pratiquée de manière statique et entraîne le mental, tandis que l’autre s’inscrit dans l’action et entraîne le corps », précise Karyne Nguyen*, professeure de yoga et sportive accomplie. Pourtant les deux disciplines méritent d’être associées parce que la méditation apporte un mieux-être, participe au développement personnel et contribue à la performance.
En effet, « la méditation dite de pleine conscience appliquée à la course à pied permet de focaliser son esprit sur son activité physique », ajoute Karyne Nguyen. « On s’observe en trois dimensions en se concentrant sur l’instant présent. » Au lieu de laisser son esprit papillonner (« J’ai oublié de sortir la poubelle, il faut aller chercher les enfants au judo, demain j’ai rendez-vous avec un gros client… »), on s’efforce de porter toute son attention sur son ressenti physique : le bruit de ses pas sur le sol, les inspirations et expirations, la caresse du vent sur la peau… Grâce à cet ancrage dans les sensations, on inhibe les émotions (par exemple, le stress) et on permet au corps et à l’esprit d’entrer en symbiose. « Dans un tel état, on avance sans consommer d’énergie, sans souffrir, en courant de manière plus fluide et plus souple. On peut courir ainsi à l’infini sans se soucier de la vitesse… et souvent on est beaucoup plus performant ! » confie Stéphane Brogniart**, athlète traditionnel devenu coureur méditatif (cf. ci-dessous).
Stéphane Brogniart :
« Non, le bonheur ne se résume pas à un classement, un chrono ou une place sur le podium. »
Courir uniquement pour soi
Méditer en courant, c’est donc s’accorder un moment sportif pendant lequel on ne pense à rien d’autre qu’à ce que l’on est en train de faire. On vit un moment rien que pour soi qui permet d’acquérir une meilleure connaissance de soi et une confiance accrue. « Dans nos cultures, nous avons occulté le ressenti et la focalisation sur nous-mêmes. Pourtant, lorsqu’on se concentre sur l’instant présent et sur ce que l’on ressent ici et maintenant, on accède à une véritable écoute de soi qui permet de se limiter à ce dont on a besoin et envie », affirme Karyne Nguyen. « On est alors capable de sentir quand on va trop loin. En sport, cela permet d’éviter les blessures et le surentraînement. » Le corps n’est plus considéré comme un simple outil au service de la performance, mais comme une globalité que l’on perçoit dans ses moindres détails. Courir devient dès lors l’occasion de se mettre en quête de la gestuelle la plus optimale possible, celle qui permet d’avancer à l’économie et sans souffrir. « On décuple ainsi le bien-être quand on court. On affûte l’esprit pour être encore plus dans le ressenti de ce bien-être. On développe une bienveillance envers le corps qui permet de relâcher aussi les tensions de l’esprit« , précise Karine Nguyen.
Repousser les pensées parasites pour se soucier uniquement de son ressenti exige de s’émanciper des éléments extérieurs à soi. Méditer, c’est oublier ce que l’on a vécu l’instant précédent et ne pas penser à ce que l’on va vivre l’instant suivant. Méditer, c’est vivre à 100 % l’instant présent. « Se détacher des résultats et de la performance, tout comme des orthèses sportives – par exemple, le chrono – permet de se détacher des paramètres extérieurs. On court uniquement pour soi. Non, le bonheur ne se résume pas à un classement, un chrono ou une place sur le podium« , affirme Stéphane Brogniart.
Méditation et performance
Comme dans le fameux flow, où convergent données neuro-motrices, musculaires et psychologiques pour donner naissance à un véritable état de grâce, l’état méditatif ouvre sur une béatitude qui peut durer pendant des kilomètres, voire carrément tout un ultra. « En 2014, avant même le départ de l’UTMB, je me suis mis dans ma bulle et j’y suis resté jusqu’à La Flégère. J’étais dans mon état de méditation habituel qui me conduit à ne presque pas communiquer, y compris sur les ravitaillements. Tout allait super bien, je n’avais aucune douleur. A La Flégère, j’ai appris que j’étais 10e et je suis sorti de ma méditation. A ce moment-là, cela a été l’horreur : mal aux jambes, mal au ventre, gestuelle désordonnée… Je me suis dit que certains coureurs devaient vivre l’UTMB avec ces sensations de bout en bout et je me suis demandé comment ils pouvaient supporter… » raconte Stéphane Brogniart.
Si la méditation n’agit pas comme un anti-douleur ou un produit dopant, elle a cependant une action fondamentale : en mettant en adéquation l’esprit et le corps qu’elle unit dans l’instant présent, elle permet d’adopter une attitude juste (gestuelle, vitesse…). On reste ainsi centré sur soi, sur ses propres besoins et ses propres capacités, sans se laisser influencer par des facteurs externes qui peuvent nuire à la performance. « Même lorsqu’on devient coutumier de la méditation en courant, il faut tout le temps s’entraîner à méditer sinon on perd vite l’habitude, » conclut Stéphane Brogniart. Finalement, méditer et courir ont bien plus de points communs qu’on pourrait le penser. Et le premier d’entre eux tient en un mot : régularité.
* Karyne Nguyen est professeur de yoga et pratiquante de trail, cyclosport, VTT et ski. Elle propose des stages « Trail et yoga » en association avec Vincent Delebarre, des Yoga Workshops, des cours collectifs et particuliers, des massages pour les sportifs et des accompagnements personnalisés. www.yogathletic.fr
** Stéphane Brogniart est membre du team Brooks, ultratrailer, coach et conférencier. Notamment 7e à la TDS 2015 et 10e à l’UTMB 2014. http://47minutes.fr
La méditation en courant : demain, j’essaie !
- Courez seul, sans bruit, sans musique et sans copains. L’objectif est de faire de votre footing un moment qui n’appartient qu’à vous, où vous avez le temps de ne penser qu’à vous.
- Partez courir sans vos instruments et repères habituels (montre, GPS, VMA…). Courez à la sensation en ayant pour seul objectif de donner le meilleur de vous-même.
- Concentrez-vous sur votre respiration en éprouvant le mouvement de votre ventre, le va-et-vient de l’air dans vos poumons. Vous pouvez aussi focaliser votre attention sur le bruit de vos pas sur le sol, le mouvement de vos bras…
- Centrez-vous sur l’instant présent, ici et maintenant, en ne vous projetant qu’à deux mètres devant vous sans penser au nombre de kilomètres à parcourir ou déjà parcourus.
L’histoire de Stéphane Brogniart
« J’ai couru en respectant la démarche athlétique classique dès mon plus jeune âge. Je pensais qu’il fallait forcément s’arracher et se faire mal, faire des séances sur la piste avec un chrono et battre les autres. Avant d’être satisfait d’une course, je devais franchir la ligne et connaître ma place et mon temps. Un jour, à 33 ans, j’ai posé les baskets car je me suis rendu compte que je ne pouvais pas continuer comme ça. J’ai beaucoup lu et pris conscience que la personne la mieux placée pour savoir comment aller d’un point à l’autre en courant, c’était moi et non la montre, les concurrents, le monde extérieur. J’ai commencé à courir à nu, sans les orthèses du monde sportif : GPS, classement, chrono… Puis je suis parti avec deux montres : l’une pour savoir l’heure qu’il était, l’autre pour mesurer combien de temps j’arrivais à mettre en symbiose ma tête et mon corps. Au début, c’était difficile et pénible. Je rentrais avec 50 secondes affichées sur la deuxième montre. Petit à petit, le temps a augmenté. Je me suis totalement détaché des résultats et de la performance. Et j’ai couru sans ressentir la fatigue, les douleurs et les contraintes éprouvées auparavant. Depuis que je cours ainsi, je ne me blesse plus et je cours plus vite ! »
22/11/2017 at 10:25
Article très sympa d’un sujet que j’aime particulièrement. C’est ma philosophie de courir pour le plaisir, pour le développement personnel, en méditation active. Il m’arrive de prendre des dossards, mais ce n’est pas vraiment mon truc. Il est tellement bon d’oublier les chiffres barbants et prendre plaisir à ce qui nous entoure, respirer, ressentir, contempler.