Ah non, là, j’en peux plus. Franchement, je n’ai plus d’énergie. Il y a des jours comme ça. On ne sait pas pourquoi, ça ne veut pas. Je ne suis pas encore en retard sur le planning prévu, mais je sens que ça va être très compliqué d’aller jusqu’au bout.
Et hop, une bouchée de barre énergétique. L’homme assis sur un caillou me jette un regard un peu hagard. Un peu fataliste aussi.
A chaque fois, on se dit que c’est la dernière fois qu’on s’inflige un truc pareil. Mais on recommence toujours…
L’ultra, ou l’éternelle question des raisons qui poussent tous ces gens à la boulimie kilométrique. Sur les sentiers de Gran Canaria, j’ai croisé de tout. Des trailers hébétés qui se demandaient s’ils allaient se sortir de ce chantier. Des coureurs sereins qui papotaient en marchant, le sourire en travers du visage. Des concurrents épuisés et bardés de K-Tape qui prenaient le temps d’un selfie au pied de l’emblématique Roque Nublo. Des maigres, des ventripotents, des musclés, des amateurs, des champions. La magie du trail réside sans nul doute dans cette incroyable diversité. Sur les sentiers, on voit de tout. Et j’adore ça !
Malgré l’angoisse d’avant-course qui me colle à la peau comme la boue un jour de cross, j’adore cette ambiance du départ. Sous l’arche, en ce samedi 5 mars, nous étions quelques centaines à être galvanisés par le speaker espagnol. Certes je ne comprenais pas un traître mot de ce qu’il disait, mais je saisissais son enthousiasme communicatif. Autour de moi, il y avait ceux qui étaient enfermés dans leur bulle, ceux qui parlaient et riaient ensemble, ceux qui observaient leurs adversaires. Mais nous étions tous là pour la même raison : l’impatience de courir sur les sentiers et de donner le meilleur de nous-mêmes. Hier soir, ils étaient près de mille à prendre ainsi le départ à la lueur des frontales pour une épopée de 125 km du Nord au Sud de l’île. Quels que soient le lieu, la distance et l’heure, la magie opère.
Pendant l’épreuve, cette communion est également sensible. Je dirais même qu’on l’éprouve d’autant plus lorsqu’on est une fille. Pourquoi ? Parce qu’un homme a à cœur de ne pas se laisser distancer par une femme ou alors il tient à l’aider à réaliser une performance. Certains sont parfois machos, mais la plupart se montre attentionnée avec la gent féminine. A l’image de ce coureur espagnol avec lequel j’ai joué au chat et à la souris tout au long de ces 30 km canariens. Alors que je venais de le dépasser à 1,5 km de l’arrivée, il retrouvait suffisamment d’énergie pour me rejoindre et m’encourager à le suivre jusqu’au bout. Mais il allait terminer trop vite et j’allais le laisser s’envoler seul, assurée de ma deuxième place. De l’autre côté de l’arche, il m’a attendue en souriant. Nous nous sommes félicités mutuellement comme si nous nous connaissions. Pourtant ce coureur était un inconnu, nous ne parlions pas la même langue et nous ne nous reverrions jamais. Mais nous partagions le même bonheur : celui d’avoir tout donné et d’avoir franchi cette arche. N’est-ce pas aussi cela, la magie du trail et probablement du sport en général ?
J’ignore si le coureur assis sur son caillou a terminé sa course. J’ignore si les trailers éreintés sont allés au bout de leur défi. Mais ce que je sais, c’est que nous sommes tous animés de motivations différentes, dotés de qualités différentes, issus d’horizons différents. Malgré cette hétérogénéité, nous sommes tous unis le temps d’une course par une passion commune. Nous courons les uns avec les autres, non les uns contre les autres. Cette capacité à transcender les différences me semble être l’une des plus importantes leçons du sport. La prochaine fois que vous serez sur une ligne de départ ou que vous courrez au sein d’un groupe, je ne peux que vous inviter à savourer à sa juste valeur ce melting pot d’une richesse incroyable.
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