Alors que les ultras de fin d’été s’achèvent et que des milliers de trailers soignent leurs bobos (pieds défoncés, jambes en compote, système digestif en vrac, moral en berne…) ou savourent leur bonheur (quoi de plus jouissif qu’être finisher ?), je vous invite à aborder l’antithèse de l’ultra endurance : le kilomètre vertical, ou KV pour les intimes. Loin de l’effort interminable où la gestion est reine, le KV repose sur un principe simple : on grimpe à fond la caisse dré dans l’pentu !

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On pourrait se croire au départ d’un Super G : les concurrents qui s’élancent à intervalles réguliers, la pente vertigineuse et la concentration des participants. Pourtant c’est à contresens que les athlètes s’attaquent à la montagne : au lieu de descendre, il s’agit de monter. En courant, si possible. Au menu : 1 000 m de dénivelée positive sur une distance qui oscille entre 2 km et 5 ou 6 km. Autant dire que les pourcentages des pentes flirtent davantage avec le profil d’un mur qu’avec celui de vos petits footings vallonnés du dimanche ! Comme le résume simplement Laëtitia Roux, longtemps détentrice du record du monde de la discipline : « le kilomètre vertical, ça te met vraiment le goût du sang dans la bouche. » Miam miam…

Bref le KV, c’est une épreuve qui remue de fond en comble. Courte et intense, elle exige une très bonne condition physique et une préparation spécifique. Bien que les recherches sur la question soient encore rares, la discipline étant jeune et les travaux s’intéressant davantage à la course à pied sur terrain plat, plusieurs conseils peuvent toutefois vous être distillés. Petit tour d’horizon des éléments clés du KV aux côtés de Jean-Louis Bal, entraîneur de nombreux champions.

Le secret du KV : l’endurance de force

Faute de travaux approfondis sur le sujet, il faut se tourner vers le cyclisme pour trouver les clés de la réussite d’un kilo vertical. « C’est avant tout une question de force dans les jambes », affirme Jean-Louis Bal. « Sur un kilomètre vertical, on oublie la qualité de la foulée. Plus la pente devient raide, plus le poids du corps joue un rôle important et plus la force dans les membres inférieurs devient cruciale. »

En d’autres termes, un coureur léger et doté d’une bonne force dans les jambes montera facilement (enfin… presque). Il n’y a d’ailleurs qu’à jeter un œil aux morphotypes des meilleurs grimpeurs mondiaux : silhouette effilée et poids plume mais dynamisme musculaire hors du commun et, bien souvent, pratique assidue de sports tels que le vélo ou le ski alpinisme. « Ceci dit, on peut compenser un poids plus élevé en développant une grosse force dans les jambes », précise Jean-Louis Bal. Ouf ! Avant d’envisager de perdre 10 kg, essayez plutôt de cultiver ce qui s’avère être la botte secrète des spécialistes du KV : l’endurance de force.

Endurance de force : késako ?

« Il ne faut pas la confondre avec la force que l’on travaille en salle en pratiquant la musculation par le biais d’efforts courts où l’on cherche à développer la force maximale ; ces exercices ont un impact sur les fibres rapides et font prendre du volume. L’endurance de force passe par un entraînement de force en aérobie, sur des fractions relativement longues, supérieures ou égales à 2 minutes. Cela permet de développer la force des fibres lentes sans prise de volume musculaire », explique Jean-Louis Bal.

L’endurance de force peut donc être définie comme la capacité à maintenir une force relativement élevée dans la durée. Dès lors, on ne s’occupe plus de la fréquence cardiaque (FC), ou alors simplement en l’utilisant comme révélateur : en montée, une FC qui monte moins que sur un parcours plat traduit un manque certain de force dans les membres inférieurs ; a contrario, si la FC s’élève à un niveau quasi-équivalent au plat, cela signifie que le coureur s’est parfaitement adapté à l’effort en terrain pentu.

L’endurance de force, ça se cultive… tout le temps

Si vous commencez à travailler votre endurance de force, vous éprouverez rapidement l’ivresse du progrès : en quatre ou cinq séances à peine, vous sentirez nettement la différence. Et, cerise sur le gâteau, vous constaterez que vous récupèrerez facilement après vos séances d’endurance de force car, à pied, les chocs sont moindres en montée raide et, à vélo, les traumatismes liés aux impacts sur le sol sont carrément inexistants !

Le revers de la médaille ? On progresse rapidement mais on perd aussi très vite tous les acquis. Autant dire qu’il faut entretenir les qualités de force toute l’année en maintenant au moins une séance par semaine. Prévoyez donc dans votre planning une séance hebdomadaire d’endurance de force sur vélo (sur route, sur home trainer ou sur vélo elliptique) ou à pied (escaliers, côtes raides).

 Comment la développer ?

  • A vélo

« Je fais essentiellement travailler mes athlètes à vélo », confie Jean-Louis Bal. Quoi, des coureurs qui pédalent régulièrement ? Voilà qui a de quoi surprendre, surtout si l’on en croit les articles qui décrivent les limites de l’entraînement croisé. Pourtant le jeu des braquets se révèle être un moyen idéal d’améliorer la force en vue d’une course en montée. Sur la route ou sur home trainer, on réalise ainsi une série de fractions de 2 minutes au minimum en adoptant une cadence de 50 à 60 tours par minute et un gros braquet. En seulement une heure (et dans votre salon si vous optez pour le home trainer ou le vélo elliptique), vous pouvez préparer efficacement votre KV.

Une séance type sur home trainer
Echauffement 20-25’ en moulinant
5 ou 6 fois 3’ à 50-60 tours par minute – récupération : 3’ en moulinant
Récupération 10-15’ en moulinant

 

  • A pied

Si vous n’avez pas de vélo ou de home trainer, vous pouvez malgré tout développer votre endurance de force en enfilant simplement vos runnings. Vous devrez cependant :

  • soit disposer de pentes raides,
  • soit courir sur des pentes moyennes mais avec du lest (de 3 à 5 kg selon votre gabarit),
  • soit vous entraîner sur des escaliers.

« On pourrait aussi imaginer des circuits training dont l’ensemble des exercices serait axé sur le travail de force avec des durées au moins égales à 2 minutes mais je pense que le home trainer est bien plus simple à mettre en œuvre », estime Jean-Louis Bal.

Par ailleurs, sachez que la pliométrie n’est guère pertinente car les exercices (foulées bondissantes, sauts…) ne sont pas suffisamment longs pour permettre de travailler sur les fibres musculaires dites lentes.

 

Séances en côte raide ou en escaliers
Pour travailler de manière progressive, vous pouvez réaliser les trois séances suivantes sur une montée très pentue ou sur des escaliers (attention, il faut disposer d’escaliers assez longs pour que l’effort soit égal ou supérieur à 2’). Chaque séance est bien entendu précédée d’un échauffement d’une vingtaine de minutes et d’un retour au calme de 10 à 15’.
Séance 1 : 7×2’ / récupération : descente au point de départ en trottinant tranquillement
Séance 2 : 5×3’ / récupération : descente au point de départ en trottinant tranquillement
Séance 3 : 4×4’ / récupération : descente au point de départ en trottinant tranquillement

 

Des alliés : les bâtons

Les coureurs qui n’ont pas besoin de bâtons sur les pentes très raides sont doués de qualités spécifiques : légers et puissants à la fois, ils n’éprouvent pas forcément le besoin de s’aider des membres supérieurs pour grimper. Dès que l’on manque d’endurance de force dans les jambes, l’aide des bâtons se révèle précieuse – voire indispensable. « Les bâtons sont nécessaires lorsque le rapport poids/puissance est insuffisant », explique Jean-Louis Bal. « On transfère alors une partie des efforts sur les membres supérieurs. » Sur les itinéraires particulièrement raides (par exemple, celui de Fully), même les plus grands champions adoptent les bâtons. A Manigod, Kilian Jornet se contente de ses gambettes tandis qu’à Fully il se dote de bâtons.

Pour ne pas être gêné ou inefficace le jour de la course, entraînez-vous régulièrement à grimper avec vos bâtons. Appuis alternés ou simultanés ? Aucune règle n’existe en la matière. A vous de déterminer ce qui est le plus confortable et le plus utile pour vous-même. Si vous pratiquez fréquemment le ski de fond ou le ski alpinisme, vous réinvestirez en course à pied les automatismes acquis sur les planches. Outre l’indéniable intérêt des bâtons pour le kilo vertical, sachez que leur usage permet aussi de développer la VO2 max grâce au travail conjoint du haut et du bas du corps.

 

Et pour finir…

Le dernier point essentiel concerne les étirements, indispensables pour toute activité de running. Sur un KV, les chaînes musculaires postérieures sont soumises à rude épreuve car la pente implique une amplitude élevée. Il est donc important de penser à vous étirer et vous assouplir très régulièrement en pratiquant les exercices traditionnels.

Maintenant que vous savez (presque) tout sur le kilomètre vertical, il ne vous reste plus qu’à cocher une course dans le calendrier et à programmer votre préparation, laquelle s’échelonnera sur quelques semaines à peine si vous pouvez vous entraîner en région montagneuse et sur quelques mois si vous n’avez pas de côtes raides ou d’escaliers conséquents sous la main (ou plutôt sous le pied !). Le jour J, vous goûterez au subtil mélange de souffrance et de plaisir du KV, cette discipline intense qui, finalement, est un jeu d’enfant : « celui qui arrive en haut le plus vite a gagné ! »

 

 

Le saviez-vous ?

  • En France, la première épreuve de kilomètre vertical eut lieu en 1997 à Bagnères-de-Luchon. On en compte aujourd’hui une vingtaine.
  • En Suisse, le KV de Fully suscite un véritable engouement international : avec 600 participants chaque année, l’ascension se déroule dans une ambiance de folie sous les acclamations du public. En 2013, les records mondiaux sont tombés : Urban Zemmer en 30’26’’ et Christel Dewalle en 36’48’’ sont devenus les grimpeurs les plus rapides du monde.
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