Le coureur est une espèce particulière d’être vivant. Volontairement, il s’inflige des épreuves quasi-quotidiennes : partir s’entraîner lorsqu’il pleut des cordes et que même la voisine hésite à sortir son caniche, enchaîner cinq séries d’abdominaux et trois séries de pompes devant la télévision alors que toute la famille est vautrée dans le canapé, ou encore se lever à l’aube le dimanche matin pour prendre le départ d’un trail de 80 km dont les sentiers boueux promettent de longues heures de galère…
Oui, décidément, le coureur est une espèce très particulière du genre humain ! Il est même doté d’une capacité hors normes face à la douleur : même quand il souffre, il s’obstine. « Ca va passer, ce n’est rien, c’est juste un p’tit bobo ridicule. Je vais m’entraîner quand même ! » Et qu’importe si chaque foulée provoque un élancement dans le genou, le pied, la cuisse ou le mollet. Il court et c’est bien là l’essentiel ! Combien de compétiteurs n’ont jamais pris le départ d’une épreuve avec une blessure soi-disant anodine ? Combien de trailers n’ont jamais espéré que « ça tiendrait le temps de la course » ? Et combien n’ont jamais aggravé leur blessure en s’entêtant ou été contraints à l’abandon tant la douleur était devenue insoutenable ?
Non, je ne saurais me placer en donneuse de leçon car je suis la première à m’obstiner et à avoir déjà commis bon nombre d’erreurs. Du genre : j’ai mal mais je mets quand même un dossard… et je termine non pas avec une simple tendinite mais carrément avec une fracture de fatigue ! Néanmoins, lasse d’accumuler les comportements dénués de bon sens, j’ai appris de mes faux pas. Hier, certainement pour la première fois de ma modeste carrière d’athlète, j’ai laissé la raison l’emporter sur la passion en optant pour le renoncement.
L’hésitation fut longue et le choix cornélien (ou plutôt shakespearien) : « to run or not to run ? That is the question ! » Victime d’une petite tendinopathie au genou (toute blessure est systématiquement « petite » quand on n’a pas envie d’être blessé, n’est-ce pas ?), mais surtout ultra-motivée à l’idée de participer à la Sky Race des Ecrins, j’ai longuement pesé le pour et le contre. Les mots pleins de sagesse de Dawa Sherpa me sont alors revenus en mémoire. Au cours d’une discussion, Dawa m’avait expliqué sa philosophie : à l’écoute de son corps, le champion n’hésite pas à abandonner ou à renoncer à courir dès qu’il ressent une douleur. Son principe ? Respecter son intégrité physique.
La sagesse l’a donc emporté : j’ai renoncé à participer à cette course qui me tenait pourtant à coeur. J’ai ainsi touché du doigt une dimension du sport qui m’était inconnue jusqu’alors : la stratégie du renoncement. « Il ne faut pas vivre ce genre de choix comme un renoncement, mais plutôt comme une expérience », estime Dominique Simoncini, préparateur physique et mental (notamment de Sébastien Chaigneau). « Il faut savoir que courir blessé peut conduire à une déconvenue, donc à une baisse de motivation et à une phase de doute. Sans compter le fait que courir blessé peut aggraver la blessure… et ça, ce n’est pas acceptable ! »
On pourrait croire qu’il n’y a rien de plus routinier que la course à pied. Pourtant, si l’on sait être attentif et réceptif à la moindre expérience, aussi banale que la simple décision de ne pas participer à une course, on accède à une dimension bien plus intéressante et enrichissante que la seule application de méthodes d’entraînement. On est invité à s’interroger sur sa pratique, sur la place que l’on accorde au sport, sur ses priorités. On est aussi conduit à progresser dans un domaine essentiel : la connaissance et l’écoute de soi. Alors non, je n’ai pas couru en ce dimanche matin, mais j’ai quand même avancé !
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