On le reconnaît sans peine : plutôt trapu, un peu penché en avant, des jambes puissantes, un regard volontaire et le maillot du team Sigvaris Sports sur les épaules, Nicolas Martin caracole en tête des pelotons. En dépit de ses nombreux succès qui lui ont ouvert les portes de l’équipe de France de trail, le poulain de Patrick Bringer n’a pas pris la grosse tête. Nicolas reste accessible et humble, toujours prêt à donner un conseil ou à répondre à une interview ou une sollicitation. Licenciée dans le même club que le champion (Entente Athlétique Grenoble, section AL Echirolles), j’ai la chance de côtoyer Nicolas régulièrement et d’échanger avec lui sur sa passion : le trail. A n’en pas douter, ce garçon bourré d’un vrai talent et d’une volonté à toute épreuve a le trail dans la peau. Et surtout dans le coeur. Première partie d’une interview passionnante !

Quelques cross cet hiver, quelques courses de montagne au printemps, les championnats de France de kilomètre vertical en début d’été : cette saison est-elle une révolution ? On avait l’habitude de te voir sur des formats beaucoup plus longs ! Quelles sont les raisons de cet essai prolongé sur des formats plus courts ?
« Non, ce n’est pas une révolution mais juste une envie de goûter à d’autres types d’efforts. Pour les cross, c’est une habitude depuis trois saisons. Cette période de l’année se prête bien à cet exercice. On fait un travail plutôt axé sur la VMA en hiver. J’aime bien cette discipline où tous les types de coureurs s’affrontent.
J’ai voulu essayer la course en montagne car mes vrais objectifs sont situés après l’été (championnat de France de trail puis Templiers). C’était l’occasion de profiter du milieu de saison pour faire quelques courses plus courtes. Malgré tout, j’ai fait deux trails en début de saison, d’abord au Ventoux puis dans la Drôme. Ma préparation à la course en montagne s’est limitée à cinq semaines. Le 15 juin, j’ai hésité entre une manche du Challenge Montagne et le championnat national de kilomètre vertical. Finalement, j’ai décidé de participer à la seconde course. Bonne option avec une 2ème place derrière un intouchable Manu Meyssat. Maintenant, je retourne à une préparation plus habituelle, même si vous aurez l’occasion de me voir sur des courses « courtes » d’ici la fin de saison. »
Tu as passé la semaine dernière en stage avec l’équipe de France de trail. Peux-tu nous livrer quelques « secrets » de ce collectif ? A quoi ressemble un séjour avec l’équipe de France ?
« Il n’y a pas vraiment de secret. Tous les protagonistes sont des personnes simples et abordables. On ne sent aucune rivalité entre les athlètes. C’est une ambiance détendue même si c’est plutôt studieux. J’apprécie vraiment ces moments-là car on s’entraîne dans d’excellentes conditions, on échange sur notre pratique… mais pas seulement ! On vit ensemble pendant plusieurs jours et, forcément, on déborde largement du cadre de la course à pied. C’est plutôt la franche rigolade par moments entre les diverses anecdotes de « big moustache » (Philippe Propage, ndlr) et le côté « déconneur » de certains. Cette année, on a joué les boulets en vélo en se faisant prendre par l’orage. On a dû rallier l’auberge en fourgon après avoir trouvé refuge chez l’habitant ! Je suis convaincu que ces moments d’échanges sont importants pour souder un groupe en vue d’une compétition. Le jour de la course, ce ne sont pas justes des coéquipiers, mais surtout des copains. On découvre un peu les coureurs au-delà du cadre des courses. Pour la plupart, ils ont des personnalités fidèles à ce qu’on voit dans les médias. »
Le monde du trail est animé depuis quelques semaines par une polémique au sujet de l’ITRA. Quelle vision as-tu de ces débats ? Et quelle est ta position face aux projets déployés par l’ITRA ?
« J’essaye de prendre du recul par rapport à ces débats. Quand on fait partie des coureurs « élites », on a une sorte de devoir de réserve car nos propos peuvent être mal interprétés. Avec le développement des réseaux sociaux ou autres forums, les propos sont vite repris et il faut toujours rester mesurés dans nos paroles.
Concernant l’ITRA, il me semble que le fond du problème est comme souvent l’argent et aussi cette sorte de conflit d’intérêt entre l’organisation de l’UTMB® et l’ITRA. Dans le fond, je pense qu’on assiste simplement à une évolution « naturelle » du trail, à l’image de notre société capitaliste. C’est une discipline en vogue, les organisateurs peuvent en vivre et certains l’ont bien compris.
Pour en revenir plus spécifiquement au débat sur l’ITRA, il me semble que le mécontentement provient du fait de devoir payer 100 € pour qu’une course obtienne des points UTMB®. D’un point de vue éthique, c’est discutable car, à la base, les points étaient là pour garantir une certaine expérience aux coureurs s’inscrivant à un ultratrail en terrain montagneux. En réalité, c’est surtout une façon de limiter le nombre de coureurs pouvant tenter de s’inscrire à la course. Soyons honnête, on peut boucler l’UTMB® sans avoir les points requis. A ce sujet, il y a un athlète bien connu qui a décidé de faire l’Endurance Trail l’an dernier plutôt que Les Templiers pour avoir ces fameux points. On ne me fera pas croire que ça change quoique ce soit à sa capacité ou non à terminer l’UTMB®. Pour les organisateurs, il y a deux solutions :
– soit on estime qu’il y a un intérêt financier à mettre en avant ces points et on paie, ce qui ne semble pas totalement illogique ;
– soit ce label n’influe en rien sur le remplissage de sa course et, dans ce cas, on ne paie pas.
N’oublions pas aussi que notre milieu est encore restreint et que certains mécontentements sont aussi liés à des histoires interpersonnelles.
J’estime que le trail est une discipline de l’athlétisme et, par conséquent, l’organisation des divers championnats constitue une prérogative de la FFA. Evidemment, on peut penser le contraire et arguer qu’il y a des dysfonctionnements. Toutefois, je trouve facile de critiquer sans chercher à apporter un début de solution. Pour certains, le trail, c’est nécessairement en montagne, avec beaucoup de dénivelée. Je ne suis pas d’accord. Le trail, c’est aussi un parcours comme celui de la Côte d’Opale. Ce n’est pas ce que je préfère, mais c’est une réalité. »
Si tu avais le pouvoir de créer le paradis du trailer, à quoi ressemblerait-il ?
« Le paradis du trailer, je crois qu’il n’y a pas besoin de le créer ! J’ai la chance d’habiter en moyenne montagne et de trouver des sentiers à 500 m de la maison. Le vrai paradis, c’est de pouvoir pratiquer notre sport où l’on veut, quand on veut. Pour faire du trail, il suffit d’une paire de baskets, d’un short, d’un tee-shirt et d’un morceau de forêt. Si je devais créer un cadre fictif, ce serait plutôt en montagne avec des sentiers bien tracés partant du fond de vallée et atteignant un milieu plus minéral.
Notre pratique est, par définition, libre. Il n’existe un cadre que si l’on en fait le choix, que ce soit au niveau de l’entraînement ou des compétitions. On entend souvent les coureurs protester contre l’évolution un peu « business » de notre sport mais on sera toujours libre de courir où on le désire. Pour ma part, j’enfile un dossard pour me confronter aux autres, pour explorer mes limites… Pour le reste, il y a très peu de contraintes matérielles dans le trail, au contraire de beaucoup d’autres disciplines. »
Retrouvez la suite de l’interview de Nicolas Martin la semaine prochaine !
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