Les performances récentes des femmes en ultra endurance ont relancé le débat relatif à la capacité des femmes à rivaliser avec les hommes, en particulier sur les épreuves de longue distance. Le mâle est-il fait ?
Lorsque Rory Bosio avait franchi la ligne d’arrivée de l’Ultra Trail du Mont Blanc 2013 en septième position, un irrépressible frisson avait parcouru la foule. Les femmes sortaient de leur condition historique de petit être fragile. Les hommes pressentaient que leur rôle de valeur étalon commençait à être ébranlée pour de bon. La petite Américaine venait de prouver que la gent féminine pouvait titiller la tête du classement général. Avec le sourire qui plus est.
Un second coup de semonce a eu lieu en début d’année 2019 sur les 160 kilomètres du Tarawera Ultramarathon. Ce jour-là, la stratosphérique Camille Herron a caracolé en tête du classement scratch jusqu’au 132ème kilomètre, devançant Jeff Browning – athlète qui n’a rien d’un débutant puisqu’il n’est autre que le vainqueur de la Hardrock Hundred Endurance Run 2018. Affaiblie par les sections techniques, Camille Herron a cédé la victoire pour terminer tout de même en deuxième position. Au scratch. Oui oui, au scratch.
La réduction des écarts ?
Si ces deux performances de haut vol incarnent la force féminine sur les épreuves d’ultra endurance, elles ne sont pas les seules à agiter les neurones des chercheurs depuis des décennies. L’introduction de la mixité au départ des épreuves longues distances, somme toute assez récente (le premier marathon olympique féminin s’est déroulé en 1984), a permis de constater que les femmes, loin d’être ces petits êtres incapables de réaliser des efforts longs, comme on l’affirmait à l’époque, pouvaient tout-à-fait encaisser la distance du marathon – et bien plus encore. Certains chercheurs sont même allés jusqu’à estimer que les femmes seraient un jour capables de remporter des courses au scratch, non seulement sur marathon mais aussi en sprint. Leur argument ? Les femmes ont investi les compétitions depuis bien moins longtemps que les hommes et leurs performances se sont améliorées bien plus vite que celles de leurs homologues masculins. Si cette progression se poursuivait à l’avenir, on pourrait donc imaginer que les femmes mèneraient un jour la danse du running.
Cependant, certaines analyses battent en brèche ces hypothèses. Un petit travail statistique à partir des résultats publiés par l’IAAF (fédération internationale d’athlétisme) révèle que l’écart entre les records masculins et féminins a continué à s’accroître depuis une vingtaine d’années. Par exemple, sur marathon, cet écart s’élevait à 8,4 % en 2003 contre 9,5 % en 2013. Pascal Balducci s’est quant à lui prêté au jeu de l’analyse des résultats de l’UTMB® entre 2015 et 2017 et en a déduit une grande variabilité des écarts intersexuels : en 2015, l’écart de temps entre hommes et femmes s’élevait à 19,4 %, s’abaissait à 14,8 % l’année suivante et grimpait à 35,6 % en 2017 ! Le fait que les femmes tendent à rattraper les hommes sur les épreuves d’ultra – et encore plus d’ultratrail – ne serait donc qu’une impression, non confirmée par le chronomètre.
Les championnes en mesure de caracoler dans le top 10 ne seraient-elles que quelques phénomènes exceptionnels ? En tout cas, il est une certitude : la densité est très différente entre les effectifs féminins et masculins. En ultra, le pourcentage de femmes oscille généralement entre 10 et (au mieux) 20 % du total des participants. La conséquence est double : d’une part, les femmes ont moins de chances de rivaliser avec les hommes puisqu’elles sont beaucoup moins nombreuses ; d’autre part, la densité de l’élite féminine est bien moindre, donc rares sont les athlètes capables de s’immiscer en tête de course. Pascal Balducci le confirme : « Le peloton féminin est moins fourni et la densité de performance est moindre. On observe également depuis plusieurs années des différences de densité de performances entre le trail court et le trail long. » Le chercheur donne plusieurs explications à ce constat : « Difficulté à cumuler les trails longs au court d’une saison, croissance exponentielle du nombre de compétitions, multiplication des courses au sein d’un même événement : tous ces facteurs ne vont pas dans le sens de la concentration des élites masculines et féminines sur les mêmes épreuves de référence, ce qui est d’autant plus vrai chez les femmes qui ne représentent qu’une faible partie des coureurs sur le long et surtout sur l’ultra. »
Une balance défavorable à la femme
Ce n’est ni un secret, ni un scoop : les facteurs de performance identifiés par les experts sont plutôt défavorables à la femme. En effet, les femmes affichent un taux de masse grasse (MG) bien supérieur à celui des hommes, que l’on considère les athlètes de l’élite ou les pratiquants amateurs. En général, un homme sportif présente autour de 10 % de MG (sachant que les marathoniens descendent parfois jusqu’à 4 %) alors qu’une femme aura plutôt autour de 15 % (une marathonienne pouvant descendre jusqu’à 8 %). On pourrait penser que cette masse grasse constitue une réserve énergétique intéressante sur les longues distances, la filière lipidique jouant un rôle clé dès que l’effort physique s’inscrit dans la durée. « Les records mondiaux sur 100 km révèlent des écarts de 5,5 % entre les performances masculines et féminines, ce qui peut être dû à une supériorité des femmes dans l’utilisation des substrats lipidiques, le fonctionnement hormonal étant, cette fois, favorable aux femmes », estime Pascal Balducci. Malheureusement pour ces dames, ce léger avantage ne suffit pas à compenser un taux de masse maigre inférieur à celui des hommes : ces derniers disposent d’une masse musculaire plus importante (en moyenne 35 % de la masse totale, contre seulement 28 % chez la femme), ce qui leur confèrent une indéniable supériorité en matière de force et de puissance, bien utiles en course à pied.
Par ailleurs, la VO2max, considérée comme l’indice de performance sportive le plus fiable, se révèle défavorable à la gent féminine : alors que les athlètes masculins de l’élite tournent autour de 85 ml/min/kg, les championnes flirtent plutôt avec 70 ml/min/kg. Cet écart s’explique par des différences physiologiques contre lesquelles il est vain de vouloir lutter : l’homme dispose effectivement d’une taille de myocarde, d’un volume sanguin total et d’un taux d’hémoglobine supérieurs à ceux de la femme, ce qui lui permet d’afficher une VO2max plus élevée. L’athlète féminine aura beau s’entraîner, elle ne parviendra jamais à une VO2max aussi haute que celle d’un champion tout aussi entraîné qu’elle. Un brin décourageant, non ?…
Le dernier paramètre de la performance généralement identifié en course à pied concerne l’économie de course. En la matière, bonne nouvelle : les deux sexes sont à égalité. Toutefois, si l’on se cantonne à ces trois critères classiques (VO2max, taux de masse grasse et économie de course), les femmes semblent condamnées à rester en-deçà des hommes puisqu’elles sont désavantagées sur 2 des 3 facteurs de performance. Mais alors comment expliquer les prouesses de Rory Bosio ou Camille Herron ?
Le poids du mental
Lors de sa victoire sur la Montane Spine Race, considérée comme l’une des épreuves d’ultra endurance les plus difficiles au monde, la Britannique Jasmin Paris confiait : « Les deux tiers du temps où tu cours dans l’obscurité, ça sape vraiment ton énergie mentale. Parce que c’est du non-stop et c’est tactique. C’est épuisant de tous les côtés, un défi énorme. Mais j’avais la motivation parfaite pour rejoindre l’arrivée : ma petite fille qui m’attendait là-bas. » En ultra endurance, la force psychologique joue un rôle essentiel. Que l’on coure pour rejoindre son enfant, pour se prouver quelque chose à soi-même, pour relever un défi ou encore pour réaliser un rêve. Aux trois critères de performance exposés précédemment, il semble donc nécessaire d’ajouter le paramètre mental.
On a coutume de dire que les femmes encaissent mieux la douleur que les hommes, capacité qui serait liée à la nécessité de supporter la souffrance de l’accouchement. Par ailleurs, les femmes feraient preuve d’une forte ténacité, ce qui constitue un atout indéniable dans les efforts de longue durée où la tentation de l’abandon n’est jamais très loin tant les creux de vague sont réguliers. La place historique de la femme dans nos sociétés (longtemps éloignée du monde professionnel et du droit de vote, longtemps – et encore aujourd’hui – chargée des tâches ménagères et de l’éducation des enfants, etc.) peut également expliquer le développement de qualités telles que la persévérance et le courage face aux difficultés.
Dans le monde du travail où de nombreux spécialistes se sont penchés sur les questions de l’égalité homme/femme, on constate que, par rapport aux hommes, les femmes ont moins confiance en leurs compétences et font preuve d’une exigence plus forte envers elles-mêmes. Une femme afficherait moins d’ambitions professionnelles et hésiterait à postuler sur des fonctions à responsabilités parce qu’elle aurait tendance à sous-estimer ses capacités. On peut donc facilement extrapoler en imaginant qu’une ultra-runneuse a moins confiance en elle que son voisin masculin sur une ligne de départ. Elle fera donc probablement un début de course plus raisonnable, plus sage… et au final fera preuve d’une gestion de course plus efficace puisqu’elle aura ménagé sa monture tandis que l’homme, plus confiant, aura tendance à partir plus vite, au risque de s’épuiser rapidement. Ceci dit, des chercheurs comme Pascal Balducci considèrent « qu’il n’existe pas de différences majeures entre les hommes et les femmes relativement à la performance. Les différences interindividuelles sont plus importantes que les différences sexuelles. »
Il n’empêche que, pour les femmes imprégnées d’une culture où l’homme reste historiquement la valeur étalon, gagner des places au classement scratch agit mieux que le plus redoutable des produits dopants. Grappiller des places au général, c’est prouver qu’une femme peut courir plus vite que les hommes. C’est acquérir une dose de confiance en soi. C’est se prouver à soi-même – et à la société tout entière – que la femme peut aussi être une guerrière redoutable, endurante et solide, loin de l’image fragile qu’ont véhiculé les hommes pendant des siècles en reléguant les dames au rang de spectatrices des épreuves sportives jugées trop dures pour elles. Rory Bosio, Jasmin Paris, Pam Reed, Emily Baer… les exemples de femmes capables de rivaliser avec les meilleurs ultra-coureurs ne sont finalement pas si rares que cela. De là à ce que la présence des femmes sur les podiums scratch devienne « nor-mâles », il semble toutefois y avoir un pas que Mère Nature empêche inexorablement les filles de franchir.
Références
- Knetchle, Valeri, Nikolaidis, Zingg, Rosemann et Rüst. « Do women reduce the gap to men in ultra-marathon running ? », Springerplus, 2016.
- Balducci. « Femmes-hommes : des écarts incompressibles ? », Lepape-info.com, mai 2018.
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