Toujours plus de kilomètres, toujours plus de dénivelé, toujours plus d’heures d’entraînement… Le monde du running aurait-il la folie des grandeurs ? Regard sur une surenchère qui pourrait bien nous coûter cher.
Il y a d’abord eu la mode du trail. Courir en pleine nature, se ressourcer en montagne, se détacher du chronomètre et du carcan des épreuves sur route : la tendance était plutôt encourageante, d’autant plus qu’elle allait chercher de nouveaux pratiquants qui, jusqu’alors, ne s’essayaient même pas à courir une fois par semaine, rebutés par le verdict du chrono final. Et puis il y a eu l’essor des ultras. Il ne suffisait plus de courir un trail, il fallait désormais courir longtemps. Très longtemps. Ce qui est, aujourd’hui, encore vrai – voire de plus en plus, si l’on en croit l’apparition de courses toujours plus délirantes, à l’image du Tor des Glaciers (450 km et 32 000 m D+… oui oui, vous avez bien lu, on n’a pas ajouté malencontreusement des zéros !), dernier né de la famille du fameux Tor des Géants qui comptait déjà 330 km.
– C’est quoi, ta prochaine course ?
– Le trail du Machin.
– Ah oui ! Tu fais quelle distance ? Le 80 ou le 140 km ?
– Ben… le 30 km…
– Ah [l’air déçu]. La petite, quoi !
Aujourd’hui, s’engager sur une épreuve de moins de 40 ou 50 kilomètres, c’est jouer dans la cour des (tout) petits. On n’est pas un vrai trailer, donc un vrai héros, si on ne prépare pas un ultra.
Non mais Strava pas la tête ?
Dans le même ordre d’idée, il y a eu l’émergence des applications de suivi d’activité, dont Strava est indéniablement le fleuron. Longtemps restée à l’écart de cette pratique désormais banale chez les sportifs d’endurance, à savoir télécharger sa séance aussitôt les baskets abandonnées sur le paillasson, j’ai franchi le pas il y a 4 mois : j’ai créé mon compte Strava. En moins de trois jours, j’ai perçu la « dangerosité » de cet outil qui peut pourtant être d’une redoutable utilité (suivi des performances individuelles, analyse des données d’entraînement…). On a vite fait de vouloir faire plus que le voisin, de se comparer… et de se juger forcément moins courageuse, moins appliquée, moins forte.
– Tiens, Aurélie a déjà couru 30 bornes ce matin… et puis Mathilde a fait une sortie avec 2000 m de déniv’ hier ! Bon, j’avais juste un footing de 50 minutes aujourd’hui, mais je vais rallonger… et puis faut que je batte Mickaël sur le segment qu’il vient faire à la porte de chez moi !
Les réseaux sociaux comme Facebook et Instagram entretiennent eux aussi cette course permanente au « toujours plus ». On partage sans cesse ses entraînements en soignant l’image que l’on décide de donner de soi, quitte à travestir un poil la réalité. Tous les autres internautes sont dès lors poussés à faire de même – mais en mieux, forcément. La surenchère règne en maître dans ces sphères virtuelles.
Un jeu dangereux
Ce qui n’est pourtant pas virtuel, ce sont les conséquences de cette quête incessante du « toujours plus ». A force d’augmenter la difficulté, qu’elle soit quantitative ou qualitative, l’organisme prend de plein fouet l’excès de sollicitations physiques et mentales. A la clé : des blessures à répétition, des pathologies chroniques, voire un épuisement psychologique pouvant parfois conduire au burn out. Je vous entends d’ici penser : « Pffff, faut pas exagérer non plus ! » Détrompez-vous. Plusieurs professionnels le constatent chaque jour dans leur cabinet de consultation : à trop vouloir charger le corps, ce dernier finit par craquer. Pour s’entraîner beaucoup, un faisceau de paramètres doit être réuni : un travail qui laisse suffisamment de temps libre, une vie personnelle qui permet de s’entraîner sans mettre en péril l’équilibre familial, une santé capable d’encaisser un volume et une intensité donnés, mais aussi le respect de principes clés de l’entraînement (temps de récupération, programmation raisonnable des compétitions, progressivité…). Or nous sommes souvent très loin d’avoir « toutes les planètes alignées » pour caser plusieurs heures d’entraînement chaque jour. Mais la pression est si forte – Strava, réseaux sociaux, préparation d’un ultra… – que l’on ne se rend pas toujours compte de la dangereuse pente sur laquelle on s’engage.
Avant d’arriver au fond du trou, mieux vaut prendre du recul. Détachez-vous des réseaux, quitte à vous forcer à bannir Strava de votre quotidien pendant plusieurs semaines, juste histoire de vous recentrer sur vous plutôt que sur les autres. Écoutez votre corps et votre tête afin d’identifier le moindre signe de fatigue, de lassitude et d’alerte. Parlez avec vos proches pour leur demander comment ils vous perçoivent sincèrement, vous et votre pratique sportive, et acceptez leur ressenti. Et puis demandez-vous surtout si vous avez envie de courir énormément pendant 3 ou 4 ans ou si vous voulez plutôt courir raisonnablement pendant 20 ans. Rappelez-vous aussi que le sport doit être un facteur de santé. Et non d’autodestruction !
07/08/2019 at 22:44
Merci Marie
Formidable écriture et quelle belle façon de coucher sous le clavier ce que l’esprit du trailer parfois assailli de questions subit.
J’ai bien aimé : combien ? 30 ? Ah …
C’est comme mon tout premier trail de ma vie cet été après 7 mois d’entraînement comme jamais. 37 km et 700d+. C’est bien ? Le prochain en montagne hein ? Tu fais plus gros ?
Euh non à 51 ans, je veux profiter de ma vie quand même. Courir en nature pour le plaisir est mon objectif, c’est ce qui me plaît. Donc raison il faut garder 🙂
08/08/2019 at 14:57
Bonjour
Un truc qui fait du bien à la tête et au corps…….
Les chemins de Compostelle et autres rendos cool
Si tu veux voyager loin…….
Ménage toi signé un chartreux heureux de vivre
09/08/2019 at 10:47
Bonjour,
Bien d’accord avec la surenchère de dénivelé, distance. C’est possible de se faire plaisir et surtout d’exister sans cela.
Le problème est le regard de la société. Est ce que notre vie n’est plus suffisamment physique au point de vouloir faire des parcours de guerre ou des courses démesurées? C’est possible d’exister ou d’être heureux sans ce regard collectif. Ces épreuves ne doivent s’aborder que comme des défis persos et non des compétitions.
Concernant Strava, c’est un formidable outil moderne qu’il faut donc utiliser avec recul et discernement.
Je l’utilise depuis plusieurs années et c’est facile de ne pas se comparer aux autres. L’age, la forme, l’entraînement, le sens du vent, l’heure d’entraînement sont autant de paramètres qui imposent le recul. Trop facile de battre un KOM avec 80 km/h de vent dans le dos.
Par contre, lors d’une virée dans une région ou un nouveau pays, un petit tour sur Strava et on sait immédiatement où sont les chemins sympas. Les statistiques perso de l’année permettent de s’étalonner, se rassurer, ou relativiser. Un record perso battu sans forcer et on se dit qu’on est en forme.
Enfin, rien n’oblige à partager sur les réseaux sociaux
13/08/2019 at 12:46
Ca été toujours humain, il faut juste voir autour de soi, la technologie, l´évolution des portables, la puissance des voitures, les yachts de plus en plus extravagant, la surconsommation, les riches de plus en plus riches, …. La question doit se poser partout! Il faut réagir surtout quand notre planète doit en faire les frais car c´est plus important que les petits égo sur les RS. Chacun de nous a ce petit démon, c´est à chacun de par sa personnalité et sa réalité de chercher ou il est son bonheur sans vouloir être esclave des RS, car c´est possible d’être heureux sans ce regard collectif.
Pour moi certaines épreuves ne sont que des défis personnels et non des compétitions et le bonus c´est les belles rencontres et l´extra sportif que je rencontre à travers ces voyages pour ces évènements. Après à chacun de torturer son corps comme il veut LOL, il y´en a qui sont sadiques, donc qui prennent du plaisir à souffrir.
20/08/2019 at 07:23
Analyse intéressante, valable pour toutes les pratiques au final, y compris l activité pro. On décrit les effets de la passion en somme. Apres la distinction s’opère toujours pour ceux dont l’intelligence et la lucidité existent et ensuite subsiste une fois pris par la passion et l’engouement pour l’ultra trail. Je suis ultra trailer j’ai monté les distances jusque 120 a ce jour mais a un certain niveau d’expérience je regarde les propositions de course comme celle citée comme abherante, a caractère suicidaire. J’ai été consterné par le défi de 900 km pour la traversée des Pyrénées en proposant au gars de faire les 1000 bornes comme le jeu. La vidéo où il explique son échec sur Facebook se suffit à elle même et confirme le danger qui est incarné : cf mon post (beb Affleck). J ai fait enfin la même analyse de Strava après 3 mois d expérience suite a l acquisition d’une nouvelle montre qui m’a permis d’être connecté : de ce fait, j aime autant montrer que je peux faire beaucoup de séances de qualité comme être au repos complet en préparation d’objectifs, comme être en mode très light sur plusieurs mois en période de régénération après l’objectif de l’année. Et je félicite celui qui fait 30 (vraiment) ne cherchant pas a le pousser sur plus, estimant que cela relève d’un choix personnel, en fonction de son besoin. Je souhaitais faire ce post pour approuver tout en relativisant en témoignant de ma pratique, trailer depuis 6 ans. C’est l expérience qui nous permet de fixer nos limites pour ensuite assumer et apprécier nos choix d’objectifs qui sont des défis perso pour vivre des moments de vie pour soi. Et je concilie au maximum avec la vie de famille, pour que tout le monde trouve sa part d’amusement, même en choisissant un lieu de vacances où se déroulera l’objectif de l’année (choix d’une station très animée…). Et j’observe, remarque ces trailers qui ne font pas attention à tout ça et qui versent dans les dérives décrites. « Rien est bon rien est mauvais, seule la dose est mortelle ». Bien a vous.
20/08/2019 at 07:27
Analyse intéressante, valable pour toutes les pratiques au final, y compris l activité pro. On décrit les effets de la passion en somme. Apres la distinction s’opère toujours pour ceux dont l’intelligence et la lucidité existent et ensuite subsiste une fois pris par la passion et l’engouement pour l’ultra trail. Je suis ultra trailer j’ai monté les distances jusque 120 a ce jour mais a un certain niveau d’expérience je regarde les propositions de course comme celle citée comme abherante, a caractère suicidaire. J’ai été consterné par le défi de 900 km pour la traversée des Pyrénées en proposant au gars de faire les 1000 bornes comme le jeu. La vidéo où il explique son échec sur Facebook se suffit à elle même et confirme le danger qui est incarné : cf mon post (beb Affleck). J ai fait enfin la même analyse de Strava après 3 mois d expérience suite a l acquisition d’une nouvelle montre qui m’a permis d’être connecté : de ce fait, j aime autant montrer que je peux faire beaucoup de séances de qualité comme être au repos complet en préparation d’objectifs, comme être en mode très light sur plusieurs mois en période de régénération après l’objectif de l’année. Et je félicite celui qui fait 30 (vraiment) ne cherchant pas a le pousser sur plus, estimant que cela relève d’un choix personnel, en fonction de son besoin. Je souhaitais faire ce post pour approuver tout en relativisant en témoignant de ma pratique, trailer depuis 6 ans. C’est l expérience qui nous permet de fixer nos limites pour ensuite assumer et apprécier nos choix d’objectifs qui sont des défis perso pour vivre des moments de vie pour soi. Et je concilie au maximum avec la vie de famille, pour que tout le monde trouve sa part d’amusement, même en choisissant un lieu de vacances où se déroulera l’objectif de l’année (choix d’une station très animée…). Et j’observe, remarque ces trailers qui ne font pas attention à tout ça et qui versent dans les dérives décrites. « Rien est bon rien est mauvais, seule la dose est mortelle ». Espérons que cet article éveille la raison de ces camarades. Bien a vous.
20/08/2019 at 08:10
« Qui veut aller loin ménage sa monture ! » –
20/08/2019 at 20:16
Effectivement l’essentiel c’est de se respecter et de trouver l’équilibre. Pour ma part j’ai fait un trail de 33 km avec 2200 de D+ cette année mon plus long et plus haut. J’aime courir et là j’étais frustrée car je n’ai fait presque que fait marcher. Je préfère les courses trail plus courtes avec moins de dénivelé. Mon année se compose des cross puis d’autres courses plaisir. Je n’ai pas strava . J’utilise polar flow. Je trouve également qu’il y a une surenchère di km et D+ depuis qq temps.