Avec ses boucles blondes et son regard azur, Christophe Le Saux ne passe pas inaperçu. Habitué des courses internationales et des podiums, l’ultratrailer est un baroudeur dans l’âme, un aventurier moderne qui profite de son incroyable résistance physique pour sillonner le monde en courant. J’ai rencontré cette personnalité hors normes l’été dernier alors qu’il débarquait juste du Pérou.

« Dès que je suis né, j’ai failli mourir. »Ouvrir les yeux et flirter aussitôt avec le néant. Souffrir non pas un instant, le temps du premier souffle, mais pendant plus de quatre ans. Christophe Le Saux débarque sur Terre le 13 juin 1972 dans les Ardennes et subit, dès ses premières heures, les effets ravageurs du tristement célèbre talc Morhange. Ce talc qui tuera une vingtaine de nourrissons et en empoisonnera près de 200. Ce talc qui, accidentellement mélangé à un produit chimique, provoquera de sévères troubles neurologiques et retards de croissance sur les petites victimes. « Je n’ai que quelques flashes de souvenirs de mes quatre premières années. Je me revois dans les bras de ma mère où je passais énormément de temps car je souffrais beaucoup », évoque Christophe. « Je n’ai marché qu’à l’âge de 4 ans et je n’ai pas eu une croissance normale. C’est pour ça que je suis tout petit aujourd’hui. »Christophe échappe au handicap, contrairement à de nombreux nourrissons qui garderont de graves séquelles toute leur vie. Alors il bouge… et il court ! Dès l’âge de 10 ans, il entre à l’école d’athlétisme et goûte à toutes les distances au fil de sa formation sportive, passant du demi-fond sur piste au semi-marathon puis aux 100 kilomètres et aux 24 heures. « A 18 ans, je suis parti à l’armée où j’ai fait mes études d’infirmier. Je suis resté 16 ans et j’ai énormément voyagé : j’ai vécu 5 ans en Afrique, 2 ans en Guyane, un an dans les pays de l’Est et 8 ans en Amérique du Sud », explique Christophe. « Quand je suis rentré en France, j’ai habité à Gap… mais j’ai laissé mon appartement en 2014 pour me consacrer aux voyages. »Sa modeste retraite militaire, quelques revenus locatifs et le soutien financier de ses sponsors sportifs lui permettent d’envisager une vie totalement nomade. Celle d’un éternel vagabond au look de trailer, chaussures de running aux pieds, tee-shirt technique sur le dos et paquetage en bandoulière. 

C’est ainsi que Christophe m’apparaît lorsqu’il descend sur le quai de la gare de Grenoble, ses denses cheveux bouclés illuminés par le soleil de plomb qui règne sur la ville, mais ne fait même pas perler une goutte de sueur sur son front. « Je rentre du Pérou et je monte tout de suite dans le massif de Belledonne où j’encadre trois jours de stage », précise-t-il. « J’ai fait le tour de la cordillère Huayhuash, soit 130 km et 8000 mètres de dénivelé positif avec neuf cols plus hauts que le Mont Blanc, en 25h21. Tout seul, avec mon sac à dos. » Complètement dingue, oui, surtout que Christophe venait de passer 14 jours avec un groupe de stagiaires pour découvrir le Pérou et cumuler les kilomètres. « Je ne m’arrête jamais. J’ai la chance de récupérer très vite et de surmonter la douleur. Et puis je garde toujours une marge de sécurité. Je ne suis jamais à fond, même quand j’ai un dossard, car je sais que j’ai plein de choses prévues après. » Christophe est un homme en mouvement perpétuel. Sans maison fixe. Sans contraintes classiques. « Si je devais vivre en permanence au même endroit, je serais insupportable. Alors j’ai des affaires un peu partout : à Chamonix, à Londres, à Vancouver, chez mes parents, chez mes sœurs, chez mon caméraman… Il faut juste que je m’organise pour avoir le bon matériel au bon moment et au bon endroit ! » 

Christophe rit de bon cœur, avale une gorgée de café allongé, puis ajoute : « Ma copine est canadienne et elle est un peu comme moi. On se voit de temps en temps. Ma fille vit à Paris. Jusqu’à ses 16 ans, on partageait plusieurs voyages par an. Maintenant, elle a 18 ans et elle fait sa vie. Et puis je ne suis pas très famille. Je préfère passer du temps avec mes amis car je connais vraiment leurs valeurs. » Lorsqu’il rentre en France, Christophe est hébergé ici et là, au gré des invitations, des opportunités et des projets. Le globe trotter aime se laisser guider par ses envies et, surtout, privilégie le partage. Son projet actuel, baptisé Seven wild trails, consiste à parcourir 7 sentiers sauvages en totale autonomie à travers le monde. Si le défi repose sur la solitude absolue – courir des centaines de kilomètres avec pour seul compagnon son sac à dos – Christophe ne néglige pas pour autant l’échange et la solidarité. « J’ai fait mon premier défi en Islande en juin : 320 kilomètres et 54 heures pour traverser le pays. L’an dernier, je m’étais déjà lancé sur ce sentier, mais mon caméraman, qui m’avait rejoint sur les 70 derniers kilomètres, est tombé en hypothermie. J’ai donc renoncé pour lui porter secours… et j’ai recommencé cette année », raconte l’ultratrailer. Dans son sac, étonnamment compact vu l’ampleur des épreuves, Christophe glisse des ravitaillements maison qu’il lui suffit de réhydrater. Pas question pour lui de bénéficier d’une assistance extérieure, le seul soutien émanant de quelques amis qui le rejoignent parfois sur quelques sections. « Je fais mes défis à ma manière. Je ne dors jamais – ou alors en continuant à marcher. Je reconnais que mon approche est très dure. Je suis souvent en mode survie. Mais je ne cherche pas mes limites. Je ne pense pas à la compétition ou au record. Je veux profiter de la vie et penser à autre chose qu’au chrono », confie-t-il. Epicurien, il aime faire la fête et boire un verre avec les copains. « J’ai perdu des amis sur des conflits de guerre quand j’étais infirmier. J’ai failli mourir à ma naissance. On n’a qu’une vie, alors je vis au jour le jour et je profite de chaque instant comme il vient. » 

Pour cet insatiable baroudeur, le partage va au-delà de la seule amitié. Parce qu’il a cette capacité à jouir de l’instant présent sans songer au passé ni au futur, sans doute aussi parce qu’il a côtoyé la mort plus d’une fois, Christophe s’attache à donner autant qu’il le peut. Il soutient donc des actions humanitaires où qu’il soit dans le monde. Faire travailler des agences et guides locaux, apporter des fournitures scolaires aux écoles, donner du matériel de sport aux villageois, vendre ses sacs à dos aux enchères pour reverser les fonds à des associations, monétiser les kilomètres qu’il parcourt… les idées fourmillent, les actions concrètes s’enchaînent. « Mon défi Seven wild trails a pour objectif de soutenir l’association « Everest en sable » qui emmène des personnes handicapées en joëlette sur des trails et des aventures. J’aimerais que cinq ou six handicapés réalisent avec moi, l’année prochaine, la traversée du Haut-Atlas, soit 240 kilomètres. Mais je dois trouver des sponsors pour que cela ne coûte rien à l’association. » Le projet semble un peu fou, mais j’ai désormais compris que rien n’arrête le phénomène qui sirote tranquillement son café face à moi. Après un silence, il ajoute : « Je sais que mon empoisonnement quand j’étais petit aurait pu me conduire dans un fauteuil roulant. Si j’avais été handicapé, j’aurais aimé que quelqu’un m’emmène dans la montagne. » 

La montagne. Le domaine de prédilection de ce miraculé du talc Morhange ? Pas forcément. Christophe Le Saux est un touche-à-tout qui s’adonne aussi bien au trail qu’à l’alpinisme, au kayak et au vélo. Il organise également une expédition par an dans la forêt amazonienne, comme un nécessaire retour aux sources, lui qui a vécu 8 ans en Guyane et partagé avec sa petite fille de 5 ans des moments inoubliables dans la jungle. Inventeur d’un nomadisme sportif moderne, il pose cependant un regard critique sur son mode de vie. « Ce nomadisme n’est ni gratuit, ni écolo. Je me dis très souvent que je prends énormément l’avion et que ce n’est pas vraiment l’idéal pour l’environnement. Mais je n’ai pas de voiture, je ne me chauffe pas au bois, je n’achète pas grand-chose. » Conscient de l’originalité et des limites de son existence vagabonde, détaché du matérialisme si répandu dans nos sociétés, Christophe Le Saux m’apparaît comme une véritable force de la nature. Un athlète hallucinant, capable de surmonter sans sourciller la souffrance, le manque de sommeil, le froid polaire ou la chaleur caniculaire. Un « globe trailer », pour reprendre le joli nom de l’association qu’il a créée avec son ami Antoine Guillon. Un infatigable aventurier. Un Little Mike Horn.  


Palmarès express

  • Entre autres : 4eau Tor des Géants 2014, 3eau Tor des Géants 2015, 6ede la TDS 2015, vainqueur de l’Annapurna Mandala Trail 2016, 3ede l’Echappée Belle 2016, 6ede la TransMartinique 2016, vainqueur de l’Ultra Trail d’Angkor 2018… 
  • Auteur de plusieurs traversées en solitaire : traversée de la cordillère Apolobamba (Bolivie) et de la cordillère royale (Bolivie) en 2016, traversée de la jungle amazonienne en 2016, traversée de l’Islande en 2018, tranversée de la cordillère Huayhuash (Pérou) en 2018… 
  • Membre du team Raidlight.
  • Fondateur avec Antoine Guillon de l’association Team Globe Trailers.