Destination balnéaire paradisiaque, avec ses criques aux eaux turquoise et cristallines, l’île grecque de Corfou n’est pas franchement connue pour ses trails. Et pourtant…
La plupart des voyageurs viennent ici pour les plages baignées d’une mer aux infinies variations de bleu. Au pied des falaises, les criques font de l’œil aux fans de farniente et de plongée. Au-dessus de la mer, les sentiers sauvages font du pied aux trailers en quête d’exotisme. Contre toute attente, Corfou n’est pas l’apanage exclusif des touristes en bikini. Les coureurs en baskets poursuivent eux aussi la beauté grecque de l’île jetée au large des côtes continentales, entre le talon de la botte italienne et les côtes albanaises. Et si les chemins sont bien souvent à l’abandon – à l’exception du célèbre Corfu Trail qui traverse l’île du Nord au Sud – certains font l’objet de toutes les attentions au mois d’avril. Parce que le Corfu Mountain Trail tient à ce que ses participants se fraient un passage privilégié en pleine nature, là où les baigneurs ne s’aventurent jamais…

Un rêve de passionnés
Le Corfu Mountain Trail trouve ses origines… à Chamonix. Il y a sept ans, une poignée de trailers grecs et un Français exilé à Corfu se retrouvent à l’UTMB®. Fascinés par ce qu’ils voient et vivent au pied du mont Blanc, ces passionnés se regardent d’un air entendu : et s’ils créaient, eux aussi, une épreuve de trail running sur leur île ? Consciente du long chemin à parcourir, la petite équipe ne s’emballe pas. Elle commence par monter une course modeste dont la plus longue distance n’excède pas une quarantaine de kilomètres. La première édition réunit 130 participants. Début modeste, mais encourageant. Au fil des ans, le petit groupe apprend, observe, réfléchit. Progresse aussi. Les difficultés ne sont pourtant pas absentes. Ni minimes.

La Grèce est un pays où les caisses publiques sont désespérément vides, alors la petite organisation du Corfu Mountain Trail ne peut compter que sur elle-même. Les solidarités se créent peu à peu et l’événement grandit lentement. Jusqu’à atteindre le rêve originel cette année : proposer un ultra de 105 km et 4200 m de dénivelé positif. Il a pourtant fallu une sacrée volonté et une passion sans bornes pour surmonter les obstacles et assumer une telle organisation. Quelques jours à peine avant l’épreuve, de bonnes âmes débroussaillent encore le terrain, traçant le chemin dans la végétation dense. Les bénévoles ne sont pas légion, mais ceux qui s’investissent dans l’événement le font avec un sourire communicatif. Depuis deux ans, l’hôtel Messonghi Beach s’est ainsi associé à l’événement, offrant ses infrastructures pour héberger les participants et accueillir les aires de départ et d’arrivée. « J’ai participé au trail en 2015. J’aime vraiment ça ! Comme le secteur public ne peut pas nous aider, il faut que nous nous soutenions. Notre collaboration se renforce donc depuis deux éditions », confirme le directeur du Messonghi Beach Hotel.
Plongée dans un Corfu intime
Tandis que l’après-midi s’étire sous le soleil tiède, les concurrents du 105 km se réunissent sur le parvis de l’hôtel puis montent à bord de l’autocar qui les conduit au départ, dans la partie septentrionale de l’île. Le trajet donne à voir une côte urbanisée où complexes touristiques, boutiques et restaurants s’apprêtent pour la nouvelle saison balnéaire en se refaisant une beauté. Le bus laisse sur la droite Kerkyra avec ses rues charmantes où se côtoient arcades fatiguées, bâtisses témoins d’une noblesse passée et terrasses de café où lézardent les visiteurs en sirotant le fameux « ouzo », l’alcool grec à l’irrésistible parfum anisé. Enfin, le bus s’arrête. Les coureurs se dirigent vers la ligne de départ, là où le starter les libèrera bientôt pour une épopée qui leur fera traverser l’île d’est en ouest, puis du nord-ouest au sud-est. Ils assisteront au crépuscule, puis évolueront dans la nuit avant d’admirer l’aube sur la mer. La plupart ignore encore que cet ultra est, mine de rien, d’une exigence et d’une technicité à faire pâlir de nombreuses épreuves du continent…
Pendant ce temps, au Messonghi Beach Hotel, la vie poursuit sa routine. Certains trottinent, en athlètes consciencieux, tandis que d’autres musardent au soleil, une bière ou une glace à la main. Demain, les trois autres courses – 40 km, 20 km et 8 km – démarreront et arriveront ici. « Nous voyageons souvent en alliant tourisme et course à pied », confie Eric, un Belge d’une cinquantaine d’années accompagné de sa femme et d’un couple d’amis. « Je me suis blessé à la cheville, mais je veux quand même prendre le départ du 40 km. Ce serait trop dommage de ne pas découvrir l’île ! » Pas franchement raisonnable, mais tout le monde sait que le coureur à pied est rarement le champion de la sagesse. D’ailleurs, Paolo aussi trottera demain sur une jambe. « J’ai des douleurs depuis mon retour d’Alaska cet hiver, mais je tiens à courir ces 20 km, c’est trop beau ici ! » confie l’Italien, habitué aux défis délirants (en Alaska, il a couru près de 250 km en tirant une pulka…).
A moitié cassés ou parfaitement en forme, les concurrents se pressent donc sous l’arche de départ en ce dimanche matin où le soleil s’est drapé d’un épais voile blanc. Les pelotons sont lâchés dans la nature et s’étirent sur les sentiers fraîchement débroussaillés, entre villages typiques, oliveraies somptueuses, forêt sauvage et crêtes avec vue plongeante sur la mer. Grâce à sa taille plus qu’humaine (300 participants au total), l’événement permet de vivre une immersion complète dans le Corfu authentique, celui que ne voient pas les estivants en quête de farniente sur le sable. Les organisateurs ont déniché des sentiers secrets, imaginé des parcours variés à souhait, réservé des passages au cœur des hameaux de montagne où les habitants applaudissent en souriant.
Pendant que les concurrents rejoignent peu à peu l’aire d’arrivée, baignée de soleil et animée avec un tonitruant enthousiasme par la speakerine, la plupart des coureurs du 105 km traînent encore leurs gambettes lourdes et griffées le long de l’itinéraire éprouvant. « Jamais je n’aurais imaginé rencontrer un terrain aussi difficile », confie la Suédoise Helle Manvik, deuxième de l’ultra, en montrant ses jambes lacérées par la végétation. « C’est une très belle course. Je suis spécialiste des longues distances, mais j’avoue que j’ai rarement couru sur un terrain pareil ! » Pour François-Xavier, l’aventure s’est arrêtée au 85ekilomètre. Le Français a dû jeter l’éponge, terrassé par des problèmes gastriques. « Ce doit être le mélange Coca et café qui n’est pas passé »,s’amuse-t-il après avoir dormi plusieurs heures pour récupérer. « Je me souviendrai longtemps du passage le long de la mer, dans le chaos d’énormes rochers… »
Des souvenirs inaltérables, teintés de plaisir, de souffrance, d’émotion. Une aventure sportive, mais aussi humaine. A l’arrivée, les organisateurs accueillent chaque finisher avec la même chaleur, le même sourire reconnaissant. Vassilievos, l’un des piliers de l’événement, affiche un visage fatigué, mais heureux. Celui qui rêvait d’un ultra sur sa petite île grecque, il y a sept ans, a concrétisé une idée complètement folle : parvenir à créer de toutes pièces un événement de trail running en proposant un panel intégral, de la plus petite distance à la plus longue, en ne comptant que sur une poignée de bonnes volontés et des moyens dérisoires. Alors… έντονα το επόμενο έτος ! Ah pardon, vous ne parlez pas encore grec : vivement l’année prochaine !

Plus d’infos sur http://corfumountaintrail.com
Vainqueurs 2018
- 105 km : Riccardo de Gaetano (13h23) / Meri Mircheska (15h47)
- 40 km : Louis-Angel Tejedor (4h15) / Elena Lucia Scarpa (6h30)
- 20 km : Tomas Mach (2h04) / Marie Paturel (2h27)
- 8 km : Thomas Nikas (25’05) / Konstantina Stamouli (36’40)
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