Entreprise familiale par excellence, Petzl préserve jalousement son ADN depuis trois générations : un savant mélange de passion, d’intelligence stratégique et de proximité avec ses clients. De l’obscurité des galeries aux ténèbres des sentiers, la marque iséroise ne cesse jamais d’innover.
Massive et imposante, la Dent de Crolles domine la vallée du haut de ses 2 062 mètres. Une vallée où s’étire une vaste zone industrielle, terriblement quelconque, semblable à tant d’autres sur la planète. Les bâtiments de tôle grise sont sagement alignés dans la lumière matinale. Les véhicules sillonnent les ronds-points qui s’enchaînent comme des perles sur un chapelet. Au détour d’un carrefour giratoire, un panneau indique une impasse. Quelques mètres plus loin, un autre, cerclé de rouge, annonce : « Village Petzl ». Ah bon, il y aurait ici toute une bourgade dédiée aux lampes frontales ?
Des origines… obscures !
Les afficionados de l’ultratrail et de ses nuits en montagne seront déçus : nulle chapelle célébrant le Dieu Petzl, mais simplement une entreprise baignée de verdure. Sur une pelouse, un poteau blanc se dresse, indiquant de ses multiples bras Petzl America, Petzl Usine Charlet, Chamonix Mont-Blanc, Petzl Usine Lancelon, Gouffre Berger, Trou du Glaz… La Mecque de l’alpinisme est une évidence pour une société qui travaille dans l’univers de la montagne. Evidents aussi sont les sites composant le groupe industriel. Mais les deux autres lieux sont plus mystérieux. Et plus confidentiels aussi. Enfin, confidentiels pour ceux qui ne baignent pas dans le monde ténébreux de la spéléologie car le Gouffre Berger, situé dans le massif du Vercors, et le Trou du Glaz, en Chartreuse, sont drôlement réputés parmi les adeptes de l’exploration souterraine.
C’est justement là que Fernand Petzl a signé ses premières sorties dans les années 1930. A l’époque, ce fils d’un immigrant allemand et d’une jolie Française évolue avec une passion dévorante dans les massifs voisins de sa maison d’enfance, la Villa Louise, à Saint-Ismier, puis de son atelier de modeleur qu’il a lui-même construit à un jet de pierre de là, à Saint-Nazaire-les-Eymes. Le Vercors et la Chartreuse, tous deux calcaires, regorgent de gouffres et galeries qui l’attirent comme un aimant. Mais le matériel que Fernand Petzl utilise ne lui convient pas tout-à-fait, alors il invente de nouveaux objets, si novateurs et si astucieux qu’un atelier voit bientôt le jour. Amarrages scellés au plomb, descendeur, bloqueur ou encore éclairage avec allumage piézoélectrique naissent dans le petit local isérois. Et se répandent bientôt comme une traînée de poudre dans le monde de la spéléo. « En regardant le chemin déjà parcouru, je mesure combien l’unique passion de mon père, la spéléologie, a joué un rôle fondamental », écrit Paul Petzl dans l’ouvrage Petzl, la promesse des profondeurs. « Elle a été déterminante dans l’existence même de nos produits – outils pour progresser, outils pour s’éclairer. »
Le miracle de la frontale
Le succès est tel que Petzl ne tarde pas à devenir une référence – si ce n’est la référence – en matière d’équipement pour progresser en milieux obscurs et verticaux. Les proches de Fernand s’investissent à leur tour dans l’affaire qui grandit et voit son marché s’étendre bien au-delà des frontières nationales. « Jusqu’à la fin des années 1990, les produits pour le sport concernaient la spéléologie, l’exploration et l’alpinisme », évoque Hervé Bodeau, responsable communication corporate. « Les années 2000 ont vu émerger le trail running et les longues distances incluant des portions nocturnes. Au même moment, en 2001 exactement, est sortie la première lampe à 3 leds, la Tikka, qui a séduit les coureurs par sa compacité. » Quasi-simultanées, les deux tendances se renforcent mutuellement : parce qu’il existe désormais des lampes frontales efficaces, le trail nocturne devient accessible au plus grand nombre et parce que le trail se démocratise et explose littéralement, Petzl innove encore pour conquérir le nouveau marché en pleine explosion.
« La séparation entre secteurs sportif et professionnel a constitué un autre tournant dans l’histoire de l’entreprise », ajoute Hervé Bodeau. Bien que le mot d’ordre de Petzl reste une qualité irréprochable pour tous les produits, les exigences se révèlent bien différentes entre les références destinées au sport et celles qui s’adressent à un public professionnel, par définition soumis à des contraintes sécuritaires et normatives. « Nous vendons des solutions et pas seulement des produits », poursuit Hervé Bodeau. Un baudrier, un casque ou un coinceur ont beau être fabriqués avec soin et rigueur, ils ne placent pas l’utilisateur en sécurité si ce dernier ne respecte pas des règles élémentaires. Un énorme travail de formation et de rédaction des notices est donc réalisé afin de prévenir tout accident.
L’un des bâtiments du siège crollois, à l’architecture étonnante, est d’ailleurs voué aux sessions de formation. Dans ce parallélépipède argenté, des murs d’escalade, des structures métalliques et des tapis permettent d’apprendre à utiliser le matériel fabriqué à quelques mètres de là. Les salariés de Petzl eux-mêmes sont initiés dès leurs débuts dans l’entreprise, histoire de les sensibiliser aux préoccupations majeures que sont la sécurité, la robustesse et la fiabilité. Mais nombreux sont ceux qui s’adonnent déjà à la grimpe pour leur plaisir ou qui courent depuis des années. « Nous ne manquons jamais de testeurs », s’amuse Claire Gérard, chef de produit éclairage. Outre les collaborateurs et les pratiquants volontaires, la marque bénéficie également de l’expertise de quelques stars du trail : Kilian Jornet en personne, mais aussi Anton Krupicka, Nathalie Mauclair, Maud Gobert, Sébastien Chaigneau… Côté grimpe, les étoiles brillent aussi : Lynn Hill, Jean-Christophe Lafaille ou encore Patrick Edlinger ont accompagné, en leur temps, l’essor de l’entreprise. La présence de grands noms aux côtés de Petzl témoigne de la pertinence de ses produits que ses concepteurs n’imaginent jamais sans penser aux coureurs. Pointu jusqu’aux bouts des baskets, Petzl n’hésite pas à segmenter pour proposer des solutions parfaitement adaptées à chaque type de pratique. L’époque des lampes frontales multi-activités est bel et bien terminée. Aujourd’hui, le secteur du running compte à lui seul une palette de modèles répondant aux attentes de l’ultratrailer, du coureur moyenne distance et du sportif urbain. Les générations de NAO et de REACTIK se succèdent tandis que la toute nouvelle BINDI a débarqué sur le marché ce printemps.
Un inépuisable réservoir d’idées
Bien que le segment professionnel soit bien distinct du secteur sportif, on mélange les idées, on pioche les astuces et les innovations dans les deux domaines. Les salariés peuvent également être forces de proposition et les athlètes ambassadeurs sont associés à l’incessante quête de perfectionnement et d’optimisation des produits. L’objectif est simple : coller au plus près des pratiques et de l’utilisateur. « Nous sommes les seuls à proposer nos services aux coureurs directement sur les courses, quelle que soit la marque de la frontale qui nous est présentée », affirme Kafia Bendib, chargée de communication pour le running. Sur la Saintélyon, par exemple, la marque multiplie les stands d’assistance pour dépanner les coureurs à la frontale défaillante. L’engouement est tel que certains trailers incluent même ces stands dans leur stratégie de course ! « Nous avons une réelle volonté d’aider tous les sportifs. C’est encore et toujours une histoire de passionnés, » poursuit Kafia Bendib.
A l’heure de la pause café, la petite salle bruisse de rires et de bonne humeur. Gobelets fumants entre les mains, une petite troupe de collègues fait plaisir à voir. « Lorsqu’on dit autour de soi qu’on travaille chez Petzl, les gens s’imaginent que nous passons notre temps à grimper », confie Hervé Bodeau. « À une époque, l’entreprise n’était composée que de passionnés. Mais la société s’est développée, elle est devenue un groupe international avec tout ce que cela implique. Oui, beaucoup d’entre nous sont passionnés et vont grimper ou courir entre midi et deux, mais nous sommes tous ici pour travailler. » Dans l’atelier de fabrication de Crolles, l’un des quatre sites de production, l’atmosphère est d’ailleurs concentrée. Disséminés sur les différents îlots dédiés chacun à un produit, les opérateurs assemblent, contrôlent la qualité et emballent. Crolles est aussi la plateforme logistique où tous les produits arrivent, sont stockés puis expédiés aux distributeurs du monde entier. Le petit atelier artisanal de Fernand Petzl s’est mué en grosse machine qui exporte aujourd’hui 80 % de sa production et cumule plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel.
A l’heure des rachats, des délocalisations et des ouvertures de capital, Petzl fait figure d’exception : l’intégralité de l’entreprise est toujours détenue par la famille qui est partie prenante de l’activité, Paul assurant la fonction de président tandis que les autres membres de la dynastie occupent divers postes. Avec un siège social situé à Crolles, à quelques kilomètres seulement de l’atelier originel, Petzl cultive le savoir-faire à la française. « Nous avons évidemment des sous-traitants à l’étranger, mais nous voulons garder une production ici dans un souci de qualité. Nous avons en permanence à l’esprit l’importance de ce que nous fabriquons : des équipements en lesquels les utilisateurs doivent avoir confiance et qui doivent assurer leur sécurité – et bien souvent leur vie », explique Hervé Bodeau. Un état d’esprit largement hérité de la passion de Fernand Petzl, comme le rappelle son fils Paul : « Les approches techniques que la spéléologie suggère sont au cœur de notre démarche. La passion de l’exploration, les impératifs d’efficacité et de sécurité, l’exigence que portent la confrontation avec la verticalité et l’obscurité du milieu, le goût de l’innovation pour trouver des solutions, la dimension collective… Autant d’aspects qui nous ont souvent permis, dans nos autres activités, d’améliorer le peu d’outils qui existaient et surtout d’en inventer de nouveaux pour rendre les pratiques plus accessibles. »
De retour dans le hall d’accueil, le regard s’attarde sur les baudriers exposés le long des murs et les photos suspendues aux cimaises. L’une d’elles est un visage aux yeux rêveurs tournés vers les hauteurs, légèrement illuminé par la lueur de sa frontale. Kilian Jornet, indéniable incarnation de la passion, accompagne Petzl depuis plusieurs années. A moins que ce ne soit l’inverse…
L’histoire de l’entreprise
1913 Naissance de Fernand Petzl.
1930 Fernand découvre la spéléologie.
1936 Fernand et Pierre Chevalier, spéléologue, commencent l’exploration de la Dent de Crolles, en Chartreuse. Ils bricolent leur matériel dans l’atelier de Fernand.
1953 Découverte du Gouffre Berger, sur le plateau du Vercors. Fernand prend la tête de l’exploration.
1956 L’équipe menée par Fernand bat le record du monde de profondeur en atteignant -1122 mètres au Gouffre Berger.
1967 Début de la fabrication des bloqueurs, descendeurs et poulies qui permettent d’abandonner les échelles en spéléologie.
1973 Création de la première lampe frontale Petzl pour l’alpinisme.
1975 L’entreprise déménage à Crolles dans des locaux neufs. Création de la SARL Petzl qui compte 5 salariés.
1976 Confection des premiers harnais pour l’alpinisme et la spéléologie.
1981 Invention de la lampe frontale ZOOM.
1985 Plus de 1000 détaillants commercialisent les produits Petzl en France.
1986 Construction d’une tour d’essai à Crolles. Diffusion des premières notices d’utilisation des produits.
1988 L’entreprise compte désormais 30 salariés. Fabrication des premiers équipements spécifiques pour le travail en hauteur et le secours en montagne.
1992 L’entreprise compte 45 salariés en France. Inauguration de l’unité de production textile à Eybens (agglomération grenobloise).
1993 Premier catalogue dédié aux professionnels.
1996 Petzl se structure autour de trois départements : Sport, Sécurité, International.
1998 Création de l’unité de production de harnais professionnels à Auberives-en-Royans, dans le Vercors.
1999 Création de la filiale américaine de Petzl à Salt Lake City, aux Etats-Unis.
2000 L’entreprise compte 180 salariés en France.
2002 Ouverture du site de production à Rotherens, en Savoie.
2003 Décès de Fernand Petzl.
2006 Création de la Fondation Petzl.
2007 L’entreprise compte 280 salariés en France.
2008 Inauguration à Crolles du centre de formation et d’expérimentation.
2009 Création d’une usine en Malaisie pour la fabrication des harnais.
2010 L’entreprise compte 354 salariés en France. Le chiffre d’affaires atteint 90 millions d’euros.
Le top des lampes pour trailers illuminés
Claire Gérard, chef de produit lampes frontales, rappelle que « le marché de la course à pied est l’un des grands axes de développement de Petzl, la marque aspirant à en être le leader. » Pour y parvenir, pas de miracle : il faut couvrir tous les besoins des coureurs en proposant des lampes adaptées aux usages de longue durée (pour les ultratrails notamment) et aux utilisations fréquentes (pour les coureurs urbains, par exemple). Actuellement, 4 modèles sont proposés.
- La NAO + qui s’adresse ouvertement aux ultratrailers grâce à ses atouts (puissance imbattable avec ses 750 lumens, grande autonomie, faisceau intelligent grâce au REACTIVE LIGHTING).
- La REACTIK +, quasi-identique à la NAO+, mais destinée aux entraînements de deux heures et plus et dotée de « seulement » 300 lumens.
- La BINDI, qui est sortie ce printemps et s’affirme déjà comme une petite révolution avec ses 35 g toute mouillée (elle est étanche), sa batterie rechargeable, son autonomie de 2 heures en mode max, ses 3 faisceaux et ses 200 lumens. « C’est clairement la lampe que l’on a sur soi en permanence et que l’on utilise tout le temps, que ce soit pour courir en ville, rentrer en vélo du travail ou descendre à la cave », estime Claire Gérard.
- La e+LITE, petite pépite (seulement 26 g et micro-format) qui remplit à la perfection la fonction de lampe de dépannage (50 lumens et une durée de vie de 10 ans de la pile).
- L’ACTIK CORE, lampe multi-usages de 350 lumens et 80 g, qui recèle un cœur étonnant : la batterie Core occupe pile poil la place de 3 piles LR03, ce qui laisse le choix de la source d’énergie.
Exclusivité Petzl, le REACTIVE LIGHTING a introduit une belle dose d’intelligence dans les systèmes d’éclairage. « Cette technologie unique permet d’avoir la bonne lumière au bon moment. Cela simplifie la vie du coureur, le faisceau s’adaptant à son activité, et cela permet d’optimiser la batterie », précise Claire Gérard.
Toujours soucieux d’innover, Petzl propose désormais une appli sur smartphone pour ses lampes NAO + et REACTIK +, baptisée My Petzl Light. Intérêt ? Piloter et personnaliser sa lampe depuis son téléphone et disposer d’informations précises, notamment sur le niveau des batteries.
Cet article est paru à l’automne 2017 dans le magazine VO2 RUN (Outdoor Editions).
Votre commentaire