Associer découverte et course à pied, voilà qui nous fait tous rêver. Quand on est trailer, quoi de mieux qu’une épreuve nous offrant dépaysement et évasion ? Parce que nous sommes nombreux à vouloir transformer cet idéal en réalité, le marché du voyage sportif s’est étoffé ces dernières années. Pour le meilleur, mais aussi pour le pire.
Fermez les yeux et imaginez… Le vent caresse votre visage, le soleil brûle vos jambes, vos pieds foulent un sentier humide et vos yeux dévorent un paysage exotique : forêt tropicale, chant d’oiseaux inconnus, terre rouge et argileuse, fleurs aux couleurs improbables… Zappez et retrouvez-vous dans une vaste étendue désertique avec des dunes dorées à perte de vue. La chaleur est écrasante, le sable crisse sous vos semelles, vos lèvres sont desséchées, mais vous profitez d’un moment incroyable : vous vivez votre passion du trail dans un désert où le temps et l’espace sont abolis, bousculant tous vos repères. Courir et voyager. Courir en voyageant. Voyager en courant. Le rêve, non ?
Bon, admettons que vous vous soyez décidé : cette fois-ci, vous n’allez pas seulement regarder des images de l’autre bout du monde, vous allez carrément poser les baskets dans ces contrées lointaines. Mais quel prestataire choisir ? Il y a, d’un côté, les agences professionnelles qui offrent des packages complets : vol, course, services, activités touristiques, accompagnement, tout y est. Il y a, d’un autre côté, des trails à vocation humanitaire où courir prend une dimension solidaire. Là, c’est plus flou, on ne sait pas trop qui organise : un particulier pétri de bonnes intentions ? une association ?… Et puis il y a les marchands du temple : ils ne sont pas voyagistes pour un sou, mais ils proposent des trails ou des stages à prix attractifs, bien souvent sans vol et sans services. C’est franchement l’aventure avec ses bons et ses mauvais côtés !
Ces constats ne sont pas une critique, loin de là. Pour avoir moi-même vécu ce genre de trail, notamment en Laponie finlandaise, je peux affirmer que la découverte d’un territoire en courant est la promesse d’émotions uniques. Le fait d’être en petit comité loin de chez soi permet de nouer des liens privilégiés avec les coureurs et de vivre un séjour dans une ambiance intimiste et conviviale. Mon expérience en matière de voyage sportif se limite toutefois à la prestation proposée par un voyagiste professionnel. Allez, j’avoue : je n’ai jamais osé partir avec des prestataires non agrémentés. Pourquoi ? Parce que seules les agences de voyage reconnues comme telles offrent des garanties solides. Comme l’affirme Laurent Gillard, directeur de VO2max Voyages, « les organisateurs de trail qui ne sont pas des agents de voyage exercent en toute illégalité en France car il est obligatoire, pour commercialiser des voyages, d’avoir une licence impliquant un agrément, des compétences éprouvées et une caution. »
Pardonnez le recours aux rugueux textes de loi, mais une incursion dans la réglementation me semble ici nécessaire. Au regard de la loi n°92-645 du 13 juillet 1992 fixant les « conditions d’exercice des activités relatives à l’organisation et à la vente de voyages ou de séjours », est considéré comme forfait touristique toute prestation « résultant de la combinaison préalable d’au moins deux opérations portant respectivement sur le transport, le logement ou d’autres services touristiques non accessoires au transport ou au logement et représentant une part significative dans le forfait, dépassant 24 heures ou incluant une nuitée et vendue ou offerte à la vente à un prix tout compris. » Ce texte permet de comprendre que les organisations individuelles ou associatives ne respectent absolument pas la réglementation en vigueur. Et alors, me direz-vous ? « S’il y a le moindre problème lors de la course ou pendant le voyage, c’est celui qui aura promu ou géré le voyage qui sera tenu pour responsable juridique. Il y a également un problème d’assurance », poursuit Laurent Gillard. « Ces obligations représentent évidemment des contraintes pour l’agent de voyage, mais elles sont des garanties pour le client. Malheureusement, les gens ne s’en rendent pas compte. »
Autrement dit, les organisateurs de voyages sportifs qui n’ont pas de licence d’agents de voyage ne font pas seulement fi de la loi. Ils se mettent eux-mêmes en danger car la responsabilité leur incomberait si le moindre problème survenait (en cas d’accident sur la course, par exemple) et ils font également courir des risques à leurs clients qui n’ont aucune garantie (quid d’un éventuel remboursement ? quid de la gestion des clients en cas de problème logistique, sanitaire…?). Tandis que l’agent de voyage doit apporter une caution égale aux sommes engagées pour son activité, l’organisateur de trail exotique se contente de commercialiser une excursion sans disposer des fonds nécessaires pour rembourser les clients ou remédier à de quelconques aléas.
Fort de ces informations précieuses que bien peu de voyageurs connaissent, vous avez signé pour un trail organisé par un professionnel agrémenté. A quel genre de compétition devez-vous vous attendre ? Une épreuve de haut niveau avec des cadors sur la ligne de départ ? Ou bien une course plaisir où la découverte l’emporte sur la performance ? Soyez honnête avec vous-même : lorsque vous foulerez les chemins de Madagascar, du Costa Rica ou de Nouvelle Zélande, vous ne chercherez pas à battre des records de vitesse mais plutôt à découvrir un pays au rythme de votre foulée. Bien sûr que vous donnerez le meilleur de vous-même, bien sûr que vous ferez le maximum pour décrocher une jolie place au classement général, mais ne serez-vous pas là pour l’aventure avant tout ? Il faut aussi admettre que gagner un trail sur lequel s’aligne une trentaine de concurrents-touristes ne saurait avoir la même valeur qu’une victoire sur une manche de coupe de France. Certes il faut être capable de boucler l’épreuve, de s’adapter à des conditions inhabituelles et d’encaisser les étapes successives. L’effort sportif mérite évidemment d’être salué. Mais l’intérêt de ces trails réside surtout dans le rôle de préparation à un gros objectif qu’ils peuvent endosser et dans l’impact mental positif qu’ils peuvent susciter. Courir en se faisant plaisir parce qu’on évolue dans des paysages inconnus, franchir la ligne dans le top 10 même s’il n’y a que 25 participants, retrouver l’esprit fondateur du trail avec ses valeurs de partage et de solidarité sont autant d’éléments qui boostent la motivation, l’envie de s’entraîner et la confiance en soi.
Aussi forte que soit votre passion du trail, aussi grande que soit votre admiration pour certains coureurs qui se muent en G.O. le temps d’une aventure sportive, réfléchissez avant de vous envoler vers l’autre bout du monde pour voyager en courant. Ne laissez pas le manque de professionnalisme semer le trouble dans le couple que forme le voyage et le trail car ces deux-là ont tout pour vous rendre heureux !
Retrouvez cet article dans le n°83 d’Esprit Trail actuellement en kiosque !
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