Qui ne connaît pas au moins un coureur qui vit chaque entraînement comme une compétition ? Lorsqu’il court seul, il a l’oeil rivé au chronomètre, attentif à chaque seconde perdue sur l’itinéraire qu’il pourrait emprunter les yeux fermés tant il lui est familier. Lorsqu’il évolue en groupe, il ne supporte pas d’être derrière quelqu’un : il faut toujours être devant, essayer d’épuiser le copain ou carrément se caler dans sa foulée avant de le dépasser quelques secondes avant la fin de chaque tour de piste (croyez-moi, c’est du vécu ! 😉 ). Un tel comportement est non seulement assez inutile (la plupart du temps, il conduit à rater l’objectif de la séance puisqu’on court systématiquement trop vite !), mais aussi assez dangereux : ne pas respecter les allures cibles et chercher à gagner coûte que coûte (mais à gagner quoi ?) peut amener à l’épuisement physique et mental.

Plutôt que cultiver l’esprit de compétition, et si l’on renouait avec la saine émulation ? Le terme « émulation » désigne « un sentiment qui porte à égaler et à imiter quelqu’un ». Ce week-end, j’ai éprouvé sur le terrain ce sentiment qui vous pousse vers l’avant, sans pour autant vous plonger dans les profondeurs pernicieuses de la jalousie. Courir avec quelqu’un qui est beaucoup plus fort que soi, c’est accepter d’être essoufflé quand l’autre discute tranquillement. Dans ces cas-là, j’ai coutume de dire : « je t’écoute, mais si je ne te réponds pas, c’est juste que… je ne peux plus parler ! » C’est aussi tenter de se caler dans sa foulée, tout en sachant qu’on ne tiendra pas longtemps. Mais comme c’est bon de se dire : « wahou, j’ai tenu 50 mètres ! » Enfin, c’est se projeter dans l’avenir en s’imaginant, un jour, cavaler aussi vite et aussi bien.

Bref, ce week-end, j’ai donc couru sur les sentiers drômois aux côtés d’une étoile montante du trail : Amandine Ferrato. Toute nouvelle sur la planète du trail running, cette fille du Sud pétrie de bonne humeur et d’énergie a un palmarès prometteur : vainqueur du Trail Ubain de Toulouse 2013, vainqueur du Trail des Gorges de l’Ardèche 2014, vainqueur des 26 km du Trail du Ventoux 2014 et vainqueur des 12 et 26 km du Trail de Mirmande 2014. Athlétique et puissante en côte, audacieuse en descente, Amandine Ferrato était donc ma partenaire ce week-end… non pas d’entraînement, parce que j’étais bien en peine de la suivre ne serait-ce que 50 mètres en montée, mais plutôt à l’échauffement et en récupération.

J’ai donc pu vivre ce que l’on nomme « émulation » et regretter que trop de coureurs s’inscrivent dans une logique de compétition permanente. Dans nos sociétés contemporaines où la quête de la performance dans tous les domaines règne en maître (voire en dictateur !), je me prends à rêver d’une pratique sportive où l’échange et la progression « avec » et non pas « contre » les autres seraient généralisés. Heureux sont les coureurs qui ont trouvé des partenaires avec lesquels avancer en toute harmonie, loin de cet esprit revanchard ou dominateur qui règne trop souvent dans les groupes d’entraînement ! A mes yeux, il y a un temps pour tout : un temps pour se mesurer aux autres et chercher à gagner (la compétition), un autre pour s’entraider et partager un moment de sport et d’effort (l’entraînement). Alors, oui, l’émulation est un « sacro-sain » produit dopant !  😉