Attentats terroristes, coureurs en détresse cardiaque ou en hypothermie, canicule, orage… Les raisons de s’inquiéter sont légion pour les organisateurs de courses. Je vous propose ici une plongée dans les coulisses des événements sportifs pour mieux comprendre les dispositifs de sécurité.

« Tant que tout le monde n’est pas rentré, nous sommes stressés. Nous avons peur d’un accident en permanence. La sécurité est une source d’angoisse pour tout organisateur. »

L’homme qui prononce ces paroles est pourtant un expert de l’événementiel sportif. Avec un panel d’épreuves aussi variées que le populaire trail des passerelles du Monteynard, le triathlon de la Madeleine ou encore le marathon ekiden de Grenoble, on pourrait penser qu’Eric Le Pallemec gère ses événements l’esprit tranquille. L’appréhension de l’accident reste pourtant ancrée en lui car il sait pertinemment que le risque zéro n’existe pas, quels que soient les moyens déployés. « Nous apprenons en permanence dans ce domaine. Même sur une course qui a plus de 10 ans, nous continuons à améliorer notre action. »

La lourde responsabilité des organisateurs

Tant que tout va bien, les concurrents ne se rendent pas compte de tout ce qui est mis en œuvre par un organisateur pour garantir leur sécurité. Les acteurs de la protection des participants travaillent dans l’ombre, aussi invisibles que possible pour laisser la fête sportive se dérouler dans une ambiance d’insouciance et de confiance. En revanche, lorsqu’un incident survient, le système se met en marche… et il a tout intérêt à fonctionner efficacement car l’organisateur engage directement sa responsabilité.

« Nous sommes totalement responsables de nos événements », confirme Eric Le Pallemec. « En cas de pépin, une plainte peut être déposée et la justice peut déclarer l’organisateur coupable de ne pas avoir mis en œuvre suffisamment de moyens pour garantir la sécurité des participants. »

Ce fut d’ailleurs le cas lors du Grand raid du Mercantour en 2009. A l’époque, l’affaire fit grand bruit dans l’univers du running. Pendant la course, des conditions météorologiques épouvantables s’abattirent sur le massif avec neige, grêle et brouillard sur les sommets. Trois participants avaient trouvé la mort et les familles des victimes avaient déposé plainte contre les organisateurs. Après plusieurs années de procédure, la justice condamnait ces derniers en 2014, les estimant coupables d’insuffisances et surtout fautifs de ne pas avoir décidé d’arrêter la course lorsque la météo s’était dégradée.

Le calibrage du dispositif de sécurité

Si ce scénario est le pire de tous et celui que tout organisateur redoute le plus, il reste toutefois (et fort heureusement) rarissime. Le but d’un staff étant d’offrir à ses coureurs des conditions de sécurité maximales, il n’est pas rare d’observer l’annulation pure et simple d’une épreuve, l’adoption d’un parcours de repli ou la neutralisation d’une course en cours de déroulement. La dernière annulation médiatisée fut celle de la prestigieuse Grande course des Templiers en octobre dernier, une véritable tempête étant annoncée sur les causses. Bien que les coureurs fustigent souvent ce type de décision, on ne peut que saluer la responsabilité de ceux qui choisissent, envers et contre leur propre passion, mais aussi envers et contre leur propre désir de satisfaire leurs participants, de renoncer à faire partir une épreuve ou d’amputer un itinéraire pourtant préparé depuis de longs mois.

L’organisateur ne doit pas seulement protéger ses coureurs ; il doit aussi protéger « l’ensemble des intervenants de la manifestation que sont les membres de l’organisation (salariés et bénévoles), les prestataires, les employés des collectivités publiques ou territoriales mobilisés pour la manifestation, les spectateurs » (Réglementation des manifestations running 2020, Fédération française d’athlétisme). Pour ce faire, il doit tenir compte d’une multiplicité de paramètres afin de calibrer au plus juste son dispositif sécuritaire : nombre de participants, accès aux différents points du parcours, secteurs à risques sur l’itinéraire de la course, gestion des routes, liaison radio, conditions météorologiques… Pour établir son plan de sécurité et de secours, un organisateur s’entoure d’experts et consulte les autorités compétentes : préfecture, municipalité, police, gendarmerie, secouristes, médecins urgentistes, protection civile… Un véritable pool de professionnels, dont la compétence et l’efficacité doivent être irréprochables, travaille donc avec l’organisateur qui assure leur coordination. Un événement se dote généralement d’un directeur de course, d’un responsable de la sécurité et des parcours et d’un responsable des secours. Il doit aussi nommer un directeur médical dès lors que la manifestation compte plus de 500 coureurs par jour, ou que le vainqueur met plus de 2 heures à boucler l’épreuve, ou que l’évacuation d’un blessé en urgence vitale prend plus de 30 minutes en ambulance depuis le site de départ/arrivée.

La médicalisation, point clé de la sécurité des coureurs

La médicalisation d’une épreuve constitue d’ailleurs l’un des points majeurs en matière de sécurité. La réglementation fédérale impose d’adapter le dispositif médical au nombre de concurrents, à la durée de la course, au type de parcours et aux conditions météorologiques prévisibles. Sur les trails, des moyens d’évacuation doivent être prévus pour chaque secteur et clairement identifiés sur une carte du parcours (accès à pied, en 4×4, en quad, en hélicoptère…). La réglementation fédérale précise toutefois que « la sécurité doit être l’affaire de tous les intervenants, notamment des concurrents ». L’entraide et la responsabilisation de chacun sont donc les maîtres mots, ce que soutient avec conviction Olivier Coudert, directeur de course de la Skyrace des Matheysins :

« Je regrette l’actuelle déresponsabilisation des gens. Personne ne veut endosser la responsabilité de l’accident. Nous avons décidé d’essayer d’éduquer les coureurs à la montagne. Nous les autorisons à partir très légèrement équipés en imposant uniquement 500 ml de boisson et un coupe-vent, conformément aux exigences du circuit mondial de skyrunning. Nous proposons une liste de matériel conseillé, mais chacun est libre de ses choix. De toute façon, avoir une bande de strapping dans son sac est aberrant car, si on n’est pas kiné, on ne saura pas poser la bande pour qu’elle protège la cheville blessée… En amont, nous communiquons auprès des coureurs pour qu’ils s’engagent sur l’épreuve en ayant conscience des qualités requises et du comportement à adopter. » 

Une forte variabilité inter-événementielle

En tout état de cause, la question de la sécurisation d’un événement running s’avère très différente selon le type d’épreuve. Tandis qu’un organisateur de marathon ou de 10 kilomètres doit répondre aux exigences de sanctuarisation du site de course, conséquence directe des attentats de Nice, un organisateur de trail doit envisager, quant à lui, l’évacuation d’un coureur blessé sur les secteurs les plus inaccessibles du parcours.

« Même si nous fournissons un tracé précis de l’itinéraire aux autorités compétentes, il n’est pas possible d’estimer la dangerosité et le côté aérien du parcours », confie Olivier Coudert. « On ne nous demande d’ailleurs aucune information à ce sujet. Nous mettons cependant en œuvre tout ce que nous estimons nécessaire pour sécuriser le passage des coureurs et nous avons même une option de déclenchement d’avalanche avant la course si les conditions météo l’exigent. »

Sur route et sur piste aussi, les organisateurs peuvent être confrontés à des risques liés à la chaleur, au froid, à l’hygrométrie, aux précipitations ou au vent. Si les championnats du monde d’athlétisme à Doha constituent un exemple probant des dangers d’une température et d’une humidité trop élevées, de nombreux exemples peuvent être cités chaque semaine en France : des rafales de vent qui renversent des barrières ou une arche d’arrivée, une tempête qui arrache des arbres, la neige qui s’invite au sommet d’un parcours en montagne, la canicule ou un pic de pollution atmosphérique qui s’abat sur une course populaire… Quelle que soit la configuration de l’événement, les organisateurs doivent s’adapter en temps réel et, parfois, prendre des décisions radicales pouvant aller jusqu’à l’annulation de la manifestation.

D’un point de vue financier, l’enveloppe budgétaire dédiée à la sécurité varie, elle aussi, énormément selon le type d’épreuve. Quasiment tous les acteurs ont un coût, de la moto ouvreuse aux secouristes, du médecin urgentiste à l’hélicoptère, des points de ravitaillement au PC course, des vigiles chargés de la fouille des sacs à l’entrée du retrait des dossards aux plots en béton barrant l’accès au site d’arrivée.

« En moyenne, les dépenses liées à la sécurité correspondent à environ 10 % du coût total d’une manifestation », affirment Vincent Massardier et Howard Vazquez dans le dossier « Les stratégies d’organisation des courses hors stade : un enjeu clé pour le développement du running » (Sport Eco, 14 mai 2019, note d’analyse n°17). « Eu égard au contexte sécuritaire pesant, les petits organisateurs doivent faire face à des frais de sécurité en augmentation », ajoutent les deux experts.

Les courses associatives, qui peinent souvent à atteindre l’équilibre budgétaire, ont donc tendance à péricliter tandis que les événements gérés par des sociétés privées parviennent mieux à endosser l’inflation des coûts. Un alourdissement des charges d’organisation qui n’est pas sans incidence sur le prix du dossard, ce que critiquent fréquemment les coureurs, sans toujours avoir conscience de l’ampleur du dispositif déployé en coulisses pour leur permettre de profiter pleinement de l’événement.

La crise sanitaire et les annulations en cascade ont de nouveau mis la question de la sécurité des concurrents sur le devant de la scène… et les polémiques liées au taux de remboursement des frais d’inscription ont fleuri sur les réseaux sociaux. Le dispositif de sécurité envisagé pour chaque épreuve est conçu très en amont du jour J avec un engagement de frais auprès des prestataires sollicités (sans parler des autres frais engagés, par exemple la réservation d’un speaker, d’un photographe et d’un chronométreur ou encore la commande de tee-shirts finishers). Ainsi, avant de contester le taux de remboursement établi par un organisateur, mieux vaut avoir conscience de toutes les contraintes pesant sur l’événementiel sportif… non ?

Le saviez-vous ?


1. Un signaleur n’est pas qu’un bénévole !

Alors qu’un bénévole peut être recruté sans condition particulière, un signaleur dispose d’un statut spécifique. Son rôle et les critères de sa désignation sont d’ailleurs définis par le Code de la route et un arrêté ministériel précise l’équipement qu’il doit utiliser.

  • Un signaleur doit être majeur et titulaire du permis de conduire.
  • Il doit être agréé par l’autorité administrative et nommément identifié dans le dossier d’autorisation de l’épreuve.
  • Vêtu d’un gilet jaune, il doit être capable de produire dans les plus brefs délais l’arrêté autorisant la course.
  • Il doit être en poste au moins 15 minutes avant le passage de l’épreuve.
  • Il utilise un matériel de signalisation défini par les textes législatifs (piquet mobile à deux faces).

2. La sécurité, un domaine encadré par la FFA

Chaque année, la Fédération française d’athlétisme publie un document de référence pour les organisateurs de courses hors stade. Intitulé Réglementation des manifestations running, le dossier disponible en ligne sur le site fédéral balaie l’ensemble des thématiques liées à l’organisation d’une épreuve de course à pied affiliée à la FFA. Ce document traite, entre autres, de sujets liés à la sécurité comme la signalétique des parcours, les distances maximales selon les catégories d’âge, les postes de ravitaillement, les secours médicaux, la structuration du dispositif de sécurité… Toute course rattachée à la FFA se doit de respecter cette réglementation.


3. Le (gros) dossier administratif de la sécurité

Toute organisation d’un événement public est soumis à autorisation et donne lieu à la constitution d’un dossier que les autorités compétentes examinent avant de donner leur aval. Lorsqu’une course pédestre traverse plusieurs communes, elle doit obtenir une autorisation préfectorale, contrairement à une épreuve qui se cantonne à un seul territoire communal (dans ce cas, un arrêté municipal suffit). La préfecture appuie sa décision sur l’avis technique émis par la Commission départementale des courses running (CDCR, ex-Comité départemental des courses hors stade ou CDCHS). Les organisateurs doivent fournir un dossier complet à la CDCR avec, par exemple, le plan précis des parcours, les points où seront postés les signaleurs, les conventions passées avec les organismes de secours et les médecins, ou encore le nombre de policiers ou gendarmes mobilisés.