La route sillonne et s’élève, régulièrement traversée par un enfant, une mule ou une femme courbée sous le poids d’un fagot démesuré. Les cultures en terrasse, verdoyantes, contrastent sur la terre rouge de la vallée de l’Ourika. Plus nous montons, plus le brouillard se densifie. Plus nous montons, plus mon impatience grandit. Au bout de la route goudronnée, il y a Oukaïmeden. Station de ski galvaudée par les Marocains en hiver, plateau où paissent chèvres et moutons à la belle saison, Oukaïmeden est aussi l’écrin d’un événement unique : l’Ultra Trail Atlas Toubkal. Pour la première fois, je vais vivre cet événement qui me fait rêver depuis mes débuts dans le trail running. Pour avoir déjà foulé la terre rouge du Haut Atlas en mai dernier, je sais que les paysages seront aussi enchanteurs que dépaysants et les parcours aussi techniques qu’exigeants.
Le calme habituel de l’Oukaïmeden a disparu. Un village éphémère est sorti de terre avec ses deux immenses chapiteaux et sa poignée de tentes destinées aux coureurs. Les bénévoles, les participants et les populations locales ont envahi le plateau tandis que les troupeaux de chèvres et de moutons broutent tranquillement, pas franchement perturbés par la présence de ces drôles d’humains équipés de camelbags, de manchons de compression, de bâtons et de casquettes. En quelques heures, une atmosphère fiévreuse et conviviale s’est installée. On discute, on sourit, on apprend à se connaître, on se fait dorer au soleil. Tout le monde profite de l’instant présent en songeant à l’épopée à venir : 105 km pour certains, 42 ou 26 km pour d’autres. Lorsque les yeux s’élèvent vers les montagnes et que le regard suit les lignes de crêtes, c’est un mélange d’impatience et de crainte qui s’immisce en chacun des coureurs. L’UTAT est un trail hors normes, une épreuve qui ajoute à la difficulté du terrain la contrainte de l’altitude. L’UTAT est sans aucun doute le trail le plus haut du monde : un départ à plus de 2 600 m, plusieurs passages de cols à plus de 3 000 m et des altitudes moyennes supérieures à 2 200 m… qui dit mieux ?
Jeudi 2 octobre, 6 heures. Le peloton composé des ultratrailers et des marathoniens s’élance dans la nuit. Le ruban de lucioles sillonne bientôt la montagne. En bas, dans la pénombre de l’aurore, j’échange quelques mots avec les organisateurs Cyrille Sismondini et Brice Thouret, et l’incontournable voix du trail, Ludovic Collet. Le silence est retombé sur l’Oukaïmeden. Tout au long de la journée, les arrivants seront acclamés par le public. Fatigués, épuisés par les itinéraires sans pitié, mais tous invariablement heureux. Comme il me tarde de prendre à mon tour le départ…
Vendredi 3 octobre, 9 heures. Sous l’arche de départ, j’observe la ribambelle de Marocains qui semblent jouer leur vie sur cette course tant leurs visages sont tendus. Ils partent comme des flèches avant même la fin du décompte ! Le rythme est élevé… mais l’altitude aussi ! Bien vite, il faut calmer le jeu et gérer l’effort pour ne pas être asphyxié. Les kilomètres défilent dans un paysage qui suscite en moi une émotion particulière. Ici, on se sent si petit, perdu dans l’immensité de ce quasi-désert de montagnes ! De loin en loin, on traverse un village où les enfants rient et tendent la main aux coureurs. Beaucoup d’habitants applaudissent et encouragent les concurrents, tandis que des femmes cheminent, imperturbables, pliées en deux sous le poids de fagots énormes. Les échanges de regards, de sourires et de tapes dans la main sont intenses. J’en oublie que je porte un dossard… et que l’ultime ascension promet d’être terrible.
Dernier ravitaillement. C’est le début des choses sérieuses puisqu’il faut désormais monter 900 m de dénivelée sur un chemin raide et baigné d’un soleil pesant. Je suis largement en tête, alors je me permets de gérer. J’admire le paysage, je me gorge de cette immensité rougeoyante où les genévriers séculaires se dressent en dépit des pentes abruptes et des cailloux omniprésents. La grimpée est éprouvante, les crampes commencent à tétaniser mes cuisses. J’aperçois les drapeaux du dernier col. Les muscles douloureux, je me lance à toute allure dans la dernière descente. La voix de Ludo me parvient bientôt. Dopée à la joie, j’en oublie mes douleurs et je cours, je cours, je cours… et je souris ! L’arrivée est un instant de bonheur à l’état pur. C’est aussi un moment de partage et d’étreintes émouvantes.
Au-delà de la performance sportive, c’est une véritable aventure humaine que l’UTAT m’a offert. Le Haut Atlas marocain recèle de véritables trésors : sa population berbère d’une hospitalité et d’une tolérance incroyables, ses sentiers jouissifs pour les trailers, ses paysages à couper le souffle. Et un événement qui mérite bien plus qu’un simple récit : l’UTAT ne se raconte pas, il se vit.
07/10/2014 at 14:11
Superbe récit! Qui donne envie de vivre l’UTAT!
Et bravo pour la course!!!
09/10/2014 at 21:02
Très joli rėcit, qui donne envie un participant de cette belle aventure de ressigner pour l’an prochain!
Et , aussi, bravo pour les perfs de l’auteure de cette chronique: du haut niveau, là aussi!
Ps: comment obtenir les jolies photos de Lionel Montico, qui illustrent l’article?
13/10/2014 at 13:02
Bonjour !
Merci de votre message 🙂
Vous pouvez retrouver les photos de Lionel Montico et Vianney Thibaut sur le lien suivant : http://www.jingoo.com/annuaire/index_albums.php (il suffit de rentrer le nom de l’événement : UTAT 2014).
A l’année prochaine sur les sentiers du Haut Atlas !
11/10/2014 at 20:02
Moi, j’adore, merci Marie